Il y a dix ans ouvrait la première ferme municipale, à Mouans-Sartoux, dans les Alpes- Maritimes, avec l’objectif d’approvisionner les cantines scolaires en fruits et légumes bios. Depuis, le modèle a fait des émules et une vingtaine de régies agricoles ont vu le jour en France, comme en Touraine, à Chambray-lès-Tours.

C’est une petite exploitation maraîchère de 2,2 hectares, située à Chambray-lès-Tours, en zone urbaine, entre l’autoroute A10, une zone pavillonnaire, un gymnase et une parcelle agricole. Baptisée Aux Champs-Braysiens, elle a pour particularité est d’être entièrement gérée par la municipalité de cette ville de 12 000 habitants appartenant à l’agglomération de Tours.

Depuis deux ans, l’ancienne prairie – qui a conservé sa mare et la haie qui la traverse – s’est transformée en ferme municipale où pousse toute l’année des légumes (carottes, courges, poireaux, tomates, poivrons, choux, etc.), des aromatiques (basilic, ciboulette, menthe, thym, romarin), et bientôt des fruits (pommiers, poiriers, pruniers, etc.). Les aliments fournissent ensuite la cantine centrale de la commune.

Une manière pour la municipalité de développer des terres agricoles, de favoriser le circuit-court et de se donner les moyens d’atteindre son objectif de menus 100 % bio dans les cantines des écoles maternelles et primaires, des crèches et des centres de loisirs. Soit environ 1000 repas chaque jour. L’objectif de la ferme est de produire 12 à 15 tonnes de légumes sur la saison.

De jeunes maraîchers sont venus prêter main forte lors d’un chantier participatif pour la plantation des poireaux.
Un hectare de terre sur les 2,2 hectares de l’exploitation est actuellement cultivé Aux Champs-Braysiens.

L’agroécologie au cœur du projet

« En 2019, l’ancienne équipe municipale avait le projet d’installer un agriculteur, ce qui me semblait difficile, raconte Yves Delcroix, conseiller municipal à la transition écologique, qui travaillait alors à la chambre d’agriculture d’Indre-et-Loire. J’ai alors orienté le maire vers une réflexion autour de la régie municipale. » Après des échanges avec d’autres communes comme la ville de Mouans-Sartoux dans les Alpes-Maritimes – première ville de plus de 10 000 habitants à passer au 100 % bio et local en restauration collective – « nous sommes donc partis sur un contrat de projet ». Celui-ci permet aux employeurs publics de recruter des agents en CDD pour une opération en particulier.

Parmi la dizaine de candidatures à l’installation, le projet agroécologique de Yannick Barriol a été retenu. La parcelle est exploitée sans travail du sol, selon la technique dite du maraîchage sur sol vivant. « Le but ? Favoriser un environnement propice à la biodiversité », souligne le maraîcher municipal, embauché pour trois ans renouvelables.

Autre avantage, le stockage dans le sol du carbone, des matières organiques – de la paille, du broyat, du compost, etc. – et de l’eau. « Au vu des aléas climatiques auxquels nous sommes confrontés, cela permet d’emmagasiner davantage d’eau quand il pleut et de l’avoir à disposition lors des phases de sécheresse. On minimise ainsi les besoins en irrigation. » L’exploitant a fait le choix de privilégier les semences paysannes et la protection biologique intégrée, une possibilité de lutter de manière biologique contre les ravageurs, avec notamment l’introduction d’auxiliaires.

Un volet pédagogique

Plus qu’un simple site de production, la ferme municipale revêt aussiune ambition pédagogique, définie dès le départ. « Nous avons mis en place cette année l’école à la ferme, explique Yannick Barriol. Les instituteurs de l’école maternelle à proximité viennent donner cours, une fois par semaine quand le temps le permet, dans cet environnement. » Un partenariat a aussi été mis en place avec le lycée de Chambray-lès-Tours afin d’accueillir des élèves en vente agricole.

D’autre part, des visites – vingt-cinq l’an dernier – sont organisées pour les enfants mais aussi les adultes et les personnes âgées et des chantiers participatifs voient régulièrement le jour, notamment pour la plantation de haies. Les riverains viennent aussi passer des moments sur le site, avides d’échanges et de conseils.

Entre accès au foncier et sécurité de l’emploi

Ancien ingénieur dans l’industrie, Yannick Barriol a changé de voie en s’intéressant « aux enjeux de sécurité environnementale, jusqu’à réaliser que l’agriculture était un pilier indispensable et stimulant intellectuellement ». La régie agricole constitue, selon lui, « un modèle idéal ». « Cela permet d’avoir accès au foncier, d’avoir un projet financé, de travailler en partenariat avec les services de la ville qui nous donnent un coup de main. » Le matériel est ainsi mutualisé. Thomas, un jeune maraîcher venu ce jour-là prêter main forte pour la plantation de poireaux avec d’autres étudiants en Brevet professionnel responsable d’entreprise agricole, abonde : « S’installer en agriculture est toujours complexe. Le modèle de la ferme municipale n’empêche pas la difficulté du métier mais cela permet de sécuriser un emploi qui ne l’est pas forcément en agriculture, d’avoir un salaire fixe. » « Avoir cette sécurité financière permet aussi de faire des expérimentations », complète Yannick Barriol.

Une installation autofinancée

L’investissement se chiffre, depuis le départ, à 298 000 €, selon le conseiller municipal. La somme a notamment servi à l’acquisition de serres, à la mise en place d’un forage ou encore l’achat de matériel. « Le projet a été totalement autofinancé », poursuit Yves Delcroix. « Les régies agricoles ne peuvent pas bénéficier des aides de la PAC (Politique agricole commune) ou d’aides européennes. La plupart des communes financent elles-mêmes leur projet mais des aides à l’acquisition foncière ou à l’aménagement existent », ajoute Inès Revuelta, animatrice-coordinatrice de l’association Un plus bio, qui aide les municipalités en matière d’alimentation durable. A Chambray-lès-Tours, trois conteneurs utilisés comme bureau, frigo et comme lieu de stockage du matériel ont par ailleurs été prêtés par la Métropole.

Pour la Mairie, le projet contient aussi son lot de difficultés : les demandes d’autorisations dont les délais sont parfois longs, la nécessité d’embaucher une personne supplémentaire pendant la haute saison pour aider le maraîcher ou encore la gestion de la production estivale, lorsque les enfants sont en vacances. « Nous sommes d’ailleurs en phase d’acquisition de deux surgélateurs de façon à stocker des légumes », note Yves Delcroix.

Malgré ces quelques embûches, le modèle attire et se développe partout en France. Au point que d’autres collectivités commencent à regarder de plus près ce fonctionnement. En Gironde, des fermes départementales ont récemment vu le jour pour approvisionner cinq collèges du Médoc.