Les questions brûlantes de l’élevage industriel et des abattages intensifs divisent nos sociétés à l’aune du dérèglement climatique. Et nécessite sans doute le regard de chercheurs pour dépassionner le sujet entre omnivores et végans. Jocelyne Porcher, zootechnicienne française et sociologue de l’élevage, est aussi directrice de recherches à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE). Ses recherches portent sur la relation de travail entre éleveurs et animaux en élevage et dans les productions animales. Avec elle, remettons la question des rapports entre humains et animaux au centre de la discussion.
Pourquoi avez vous basculé de l’élevage à la sociologie?
Votre regard s’est focalisé sur des zones d’ombres de l’élevage dès le départ?
J’avais une vision singulière puisque lorsque j’ai fait mon petit rapport de BTA, j’avais fait mon stage dans une porcherie industrielle et lors de mon rapport, j’avais raconté l’histoire d’un petit Cochon qui s’appelait Profit et qui racontait ce qu’il avait vécu …! Ainsi, une première partie de mon travail a porté durant 15 ans sur la critique du système industriel. Je voulais comprendre pourquoi on appelait encore cela de l’élevage, est-ce que les gens souffraient là dedans, et est-ce que les animaux souffraient dans ce système….
Les aspects économiques de cette industrie m’ont tout de suite sauté aux yeux tout comme de l’autre côté, les thèses animalistes venues des USA et d’Angleterre qui, il y a une vingtaine d’années n’étaient pas monnaie courante. Aujourd’hui les discours antispécistes ont pris place dans l’université avec des thèses ouvertement antispécistes en faveur de la libération des animaux, dans l’assemblée nationale ou les journaux. Il fallait aller chercher à comprendre tout ça pour moi.
Doit-on penser que les intellectuels – urbains – ont diabolisé l’élevage au point qu’on ne veuille plus manger de viande?
Oui, mais pour autant je ne crois pas à un affrontement ville-campagne. Tout dépend des connaissances que l’on a de l’élevage et c’est un déterminant pour comprendre les réalités de nos rapports avec les animaux. Tous les urbains qui ont une vision anti-élevage passent en réalité beaucoup par les réseaux sociaux ou des ONG type L214 qui méconnaissent les réalités de la paysannerie ou même des élevages industriels qui sont sémantiquement plutôt des lieux de production de matière animale, appelons les choses par leur nom. Il est logique alors de vouloir s’en éloigner.
L’élevage est donc une question éminemment politique?
Une fois qu’on commence à comprendre ce système industriel, politiquement, on se positionne forcément, mais moi je ne me considère pas comme militante, c’est la recherche qui me tient lieu de position. L’élevage est un sujet très politique, c’est un choix de société.
Et avant tout c’est la question économique qui régit tout cela d’après vous…
L’élevage ne peut être conçu dans sa pérennité, dans son extension, dans sa durabilité dans cette société. On voit combien les éleveurs aujourd’hui sont pris par les injonctions de l’état, les critiques et les insultes des animalistes. La question climatique met l’accent sur la viande bovine de surcroît alors que c’est peut-être la moins critiquable, puisque les vaches allaitantes sont dehors, alors que c’est là que la critique environnementale se met avec une injonction à manger moins de viande. Tout est donc dans la perspective économique dans laquelle on range les éleveurs et surtout qui les supporte. Mais derrière se cache une nouvelle industrie qui ne se cache désormais plus pour se montrer comme le nouvel eldorado climatique – et économique -, la viande artificielle.
La question climatique pousse t-elle les états a devenir plus responsables?
Sous l’égide des animalistes, les États-Unis ont ainsi autorisé par principe deux start-ups américaines qui sont passées au stade de l’usine pour la production de viande cellulaire ou in vitro, des usines de production de fausse viande à partir de muscles déjà existants et de sérum de fœtus de veau. En France, ça ne saurait tarder.
En réalité, le problème se mélange avec la crise environnementale. Ils disent: « C’est à cause des vaches et on supprime les vaches, et on t’apporte la viande cellulaire sur un plateau, tu ne changes pas de vie et le tour est joué sans mort animale… » On ne change surtout pas de paradigme et avec l’assentiment des États.
Cela vaut-il aussi pour le système d’abattage?
Pour la question des abattages, c’est la même chose: le sujet des abattoirs de proximité est très complexe pour bien faire avancer les choses et doit être soutenu.
Il y a tout de même un maillage de groupe d’éleveurs qui agissent sous l’égide de la loi de 2019 pour expérimenter ces nouvelles formes d’abattage. Cependant, aucune aide de l’État n’intervient.
L’Institut de l’élevage aurait du détacher des chargés d’études pour ces projets, pour chercher le bon caisson mobile, ou le camion d’abattoir, discuter avec la région, trouver les outils…Bref, c’est un travail immense qui ne revient finalement qu’aux initiatives des éleveurs eux-mêmes.
Si l’on doit être créatif à cet endroit, on ne peut compter sur l’État.
Quelles perspectives tracez vous pour cette pratique?
On peut observer des tendances comme le modèle chinois avec des systèmes de production sur 27 étages et des abattoirs immenses surtout si on produit des animaux comme on le produit par millions. Il faut alors penser des abattoirs de la même sorte de 850 porcs à l’heure dans la chaîne, ce qui est littéralement impossible. On ne peut pas chercher à améliorer les conditions d’abattage industriel. Un milieu violent est par ricochet tout aussi violent pour les humains.
Toute la difficulté est de penser les transformations sociales en incluant les animaux dans un mode qui est rattaché à l’héritage paysan. Je défends une relation aux animaux qui s’inscrit dans l’héritage paysan, mais ça ne veut pas dire qu’on fait comme les arrière grands parents, les relations ont changé aux animaux, aux humains le climat change et donc il faut reconsidérer les choses, l’âge d’abattage, les races animales et les sélections sans dessus dessous pour les volailles comme pour les cochons.
Vous voulez dire qu’il faut tout repenser de A à Z?
Aujourd’hui, il y a toute cette frange de producteurs qui grossissent de plus en plus, leur système devient industriel sans qu’ils ne s’en rendent compte parce que les fermes-usines existent par ailleurs de plus en plus …le nombre compte bien sûr, mais c’est aussi les rationalités du travail qui comptent. Et c’est aux éleveurs à se ré-emparer de ces questions qui depuis longtemps leur avait échappé.
Quelle valeur met-on en premier? La relation animale, l’argent, la morale, la biodiversité, ou l’économie?
Quelles sont vos propositions pour oxygéner ce milieu?
J’ai proposé à des éleveurs d’écrire ensemble une charte en 10 critères avec par exemple ma rationalité première, c’est la relation aux animaux, un bon produit respectueux, mes animaux sont dehors le plus possible, parce qu’une part de l’alimentation vient du pâturage etc.
C’est un ensemble complexe, un rapport de travail aux animaux avec des rationalités esthétiques morales, économiques, mais pas seulement.
Et ce ne sont pas que des valeurs morales, c’est aussi une question d’organisation du travail: à quel âge on réforme un animal, à quel âge on tue un veau, quelle est l’espérance de vie d’un veau ou des agneaux tout cela doit être requestionné par rapport a des pratiques actuelles .
Pour en savoir plus :
Vivre avec les animaux – Éditions la Découverte
Cause Animale, Cause Du Capital – Éditions le Bord de l’Eau
Rétroliens/Pings