Petit éleveur de vaches rustiques, de cochons de plein air et de volaille, le cofondateur de l’association Quand l’abattoir vient à la ferme décrit son engagement, les risques pris et ce qu’il aimerait voir aboutir.

Comment s’est mis en place l’abattage dans votre ferme, dès 2007 ?

Quand tu amènes tes animaux à l’abattoir, tu ne contrôles plus rien. Ça me donnait l’impression de les abandonner. Je n’ai jamais eu d’ambiguïté sur le fait que la finalité de mes animaux, c’était d’être consommés. Ce sont des animaux d’élevage. Mais ce qui m’importe, c’est de leur offrir le meilleur cadre de vie possible tant qu’ils sont sous ma responsabilité. Cela donnera aussi pleinement satisfaction à ceux qui vont les consommer. Car un animal qui vit en extérieur toute l’année, tu lui fais subir du stress dès que tu le mets en bétaillère. Et des chercheurs comme Thierry Astruc ont démontré que le stress détériorait la qualité de la viande.
Mais abattre à la ferme, ça ne s’improvise pas. J’ai mis en place une petite pièce d’abattage et un laboratoire pour la transformation. Par contre, on ne peut faire ça que l’hiver. J’ai aussi été chercher des personnes compétentes, qui ont travaillé en abattoir et savent voir quand il y a un problème ou pas. Ce n’est pas le même métier. Mais je ne me détache pas de l’acte, je participe aussi. Je reste avec mes animaux jusqu’à la fin. Ensuite, tu ne peux vendre officiellement ta viande à personne, ou qu’à des gens d’accord avec ta démarche. J’ai donc mis en place de la vente directe, mais cela ferme beaucoup de portes et c’est compliqué à gérer au quotidien.

Photo Mathilde Doiezie

Aller au bout de cette démarche, cela signifiait aussi que vous étiez conscient d’être dans l’illégalité. Pourquoi avoir pris ces risques ?

Avant d’aller voir tous les éleveurs et de critiquer les méthodes, j’ai décidé de faire la preuve par le faire. J’ai voulu aller au bout de la démarche, car je veux vraiment qu’elle puisse être légalisée. Cela fait partie d’une vision globale sur l’élevage, pour repenser son mode de fonctionnement avec les animaux. J’assume d’autant plus que je sais que derrière, il y a des gens qui soutiennent la démarche. Mais je ne suis pas le seul à prendre des risques. La personne qui vient pour abattre l’animal aussi, même si pour moi, il est hors de question de la mettre en danger, donc j’assume tout seul.
Avec l’association Quand l’abattage vient à la ferme, nous avons été auditionné en 2016 dans le cadre de la rédaction d’une commission d’enquête parlementaire sur les conditions d’abattage. J’ai témoigné en disant que ma démarche me plaçait dans l’illégalité. Ça n’a pas servi à grand chose… et quinze jours après, j’avais les gendarmes et les services vétérinaires à la ferme… J’ai été jugé l’année dernière et j’ai été condamné à une amende de 500 euros pour la période 2007 à 2016. Le procureur m’a signifié que la justice pourrait revenir à la charge pour la période suivante. J’ai bon espoir que la médiatisation et tous les soutiens reçus sur le sujet permettent d’arrêter la machine.

Le sujet de l’abattage à la ferme n’est effectivement plus aussi marginal qu’en 2007. Qu’est-ce qui a avancé depuis ?

Avec les images de certaines associations, les gens ont pris conscience que l’élevage industriel entraînait de la maltraitance animale, des problèmes sur l’environnement et de santé publique. C’est un peu plus compréhensible de dire qu’un animal est fait pour vivre dehors, qu’un bovin est fait pour manger de l’herbe…
Avec notre association Quand l’abattoir vient à la ferme, nous avons aussi sollicité tout un tas de soutiens et vu le sujet avancer. La Confédération paysanne s’est impliquée pour faire un travail au niveau national. Nous avons obtenu à travers la loi Égalim de 2018 une période d’expérimentation pour faire des essais avec des outils mobiles.
Tout est en place désormais, ne reste plus qu’à trouver des soutiens financiers et à se débarrasser de la pression des industriels de la viande. Surtout qu’on ne fait pas du tout le même métier, nous c’est de l’élevage paysan, nous contribuons aux Amap, aux circuits courts, aux marchés, à la restauration… Et l’idée, ce n’est pas de se désolidariser des outils existants, juste de repenser le fonctionnement de l’abattoir comme le bras droit d’un abattoir mobile. De promouvoir ceux de proximité et d’y proposer des meilleures conditions de travail, aussi. Heureusement, on sait que l’opinion publique est derrière nous, donc on y croit.