Au bingo des quatres éléments, le miscanthus coche toutes les cases : feu, air, eau, terre. Cette graminée repousse chaque année sans intrant et est hautement productive en biomasse. Pourtant, elle est peu répandue en France. Pour inciter les agriculteurs à la cultiver, il faut des débouchés. Déshyouest, coopérative de déshydratation implantée à Domagné (Ille-et-Vilaine) et à Changé (Mayenne), en est une.
Chez la coopérative Déshyouest, on déshydrate le fourrage grâce à la chaleur produite par un mélange de bois et de miscanthus. Ce dernier combustible, une graminée vivace, peut aussi être transformé en granulés et servir de paillis, litière ou aliment pour ruminants. Crédits photo Pauline Roussel.
Tôt le matin, un épais nuage blanc perce le ciel bleu nuit qui flotte au dessus de Domagné, commune entre Rennes et Vitré (Ille-et-Vilaine). La vapeur s’échappe de l’usine Déshyouest, coopérative agricole née de la fusion de Coopédom à Domagné et de Codéma à Changé, près de Laval (Mayenne).
Ici, on déshydrate du fourrage (luzerne, maïs) dans des sécheurs à haute température. Comment ? En partie, grâce au miscanthus giganteus. Cette plante vivace de la famille des graminées, aux faux airs de canne à sucre, a un meilleur pouvoir calorifique que le bois. Un combustible de choix. Une poignée qui grince, une porte qui s’ouvre et une chaleur intense. “Dans ce four, on brûle à 650 – 700 degrés un mélange de plaquettes forestières et bocagères avec du miscanthus.” Samuel Maignan, directeur général de la coopérative de déshydratation, referme le foyer. La chaleur produite permet d’évaporer l’eau du fourrage afin de le conserver pour nourrir les bêtes des 1 500 producteurs
adhérents en hiver. Avant d’adopter un processus thermique “100 % énergies renouvelables”, Déshyouest séchait son fourrage au charbon. La bascule s’opère à partir de 2007. Le miscanthus, riche en cellulose et lignine (les composés du bois), est un combustible de choix. Une fois broyé en paillettes de deux à trois centimètres, il brûle “presque” comme le bois avec lequel il est mélangé dans des chaudières à biomasse de 20 mégawatts. En 2023, Déshyouest a implanté 800 hectares de miscanthus chez ses adhérents. La plante est récoltée à partir de fin mars, quand sa tige est sèche à 80 %.
Une plante écolo
Quand la graminée ne va pas dans les fours, elle est déshydratée et transformée en granulés. Le miscanthus peut servir de paillis, de litière ou d’aliment pour ruminants. “En litière, il est très absorbant et sain : la plante n’est pas traitée”, développe le directeur.
Hormis la première année, le temps que ses rhizomes très sensibles s’installent dans la terre, le miscanthus n’a besoin ni d’engrais ni de pesticides pour pousser. Cette culture pérenne, dont les tiges grimpent jusqu’à 4 mètres de haut, a une durée de vie de 20 à 25 ans. Autant d’années où elle capte du CO2. Aussi, le miscanthus est une plante dépolluante, utile pour préserver les ressources en eau. Ses rhizomes fixent les métaux lourds et polluants présents dans les sols avant qu’ils ne migrent vers les nappes phréatiques.
Utilisés en litière logette, les granulés de miscanthus sont très absorbants et sains pour les animaux. La plante n’a pas été traitée aux pesticides. Crédits photo Pauline Roussel.
“Pour les agriculteurs, le miscanthus permet de valoriser des terres moins intéressantes pour les cultures vivrières. C’est une espèce non-invasive”, complète Samuel Maignan. Côté Politique agricole commune, le miscanthus est éligible aux aides “écorégimes”.
Pas donné à tout le monde ?
Sur le papier, le miscanthus a tout pour plaire. Pourtant, la graminée originaire d’Asie est encore peu répandue en France. Selon les estimations de la filière, 11 000 hectares sont cultivés dans l’Hexagone. Pourquoi, malgré ses milles vertus, le miscanthus ne prend pas ? Déjà, parce que ce n’est pas donné à tout le monde de se chauffer au miscanthus à en croire Samuel Maignan. “On ne brûle pas du miscanthus comme on brûle du bois, sa température de fusion est inférieure et il faut être précis. C’est une énergie qui convient surtout aux chaudières des industriels.”
Pour convaincre les agriculteurs à se lancer dans le miscanthus, il faut donc des débouchés. À l’image de Déshyouest ou des collectivités locales. Pour les acheteurs, le miscanthus est une énergie bon marché. Pour les producteurs-vendeurs, c’est un important investissement : compter 3 200 €/ha pour l’implantation, selon le site d’information agricole Terre-net.
Et de conclure avec un brin d’agronomie. “Le miscanthus est une culture comme une autre. Les puristes ne vont pas jusqu’à dire qu’elle pousse toute seule, nuance Samuel Maignan, agronome de formation. Son exploitation peut comporter un très faible risque d’appauvrissement des sols en phosphore et potasse.”