Que reste-t-il de la ferme solaire Ô Jardin des délices dont l’ouverture en 2012 au lieu-dit des Marottières sur la commune de Bourgneuf-en-Mauges (49) avait été largement relayée par une presse enthousiaste devant un des premiers projets d’agrivoltaïsme en France ?
Les photos prises par les membres de la Confédération paysanne de Maine-et-Loire lorsqu’ils ont accompagné un huissier sur le site en octobre 2022 ne laissent planer aucun doute. Rien. Il ne reste rien. En tout cas rien de l’exploitation agricole. Et surtout pas de fraises ou de framboises qui devaient pourtant être produites en quantité (200 tonnes/an pour les premières, 50 tonnes/an pour les secondes) sous les 5,5 hectares de serres toujours couvertes par contre de panneaux photovoltaïques qui « eux, fonctionnent parfaitement ». Et c’est bien ce qui dérange Anthony Robin, représentant de la Confédération Paysanne à la Commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). « Sous les serres, la terre est nue, sèche, quasiment sans le
moindre brin d’herbe. C’est carrément lunaire comme paysage. Et qui plus est, le fait qu’il n’y ait plus d’activité agricole rend caduque le permis de construire ».
12000 panneaux photovoltaïques sur 5,5 hectares de serres
Flash-back. En 2009, Régis Guiet, arboriculteur à Bourgneuf-en-Mauges, décide de voir les choses en plus grand et d’abandonner les pommes pour les fruits rouges. Son choix se porte sur un terrain de 11 hectares dont il souhaite couvrir la moitié de la surface avec des serres pour un investissement total de 20 millions d’euros. Alors que les banques rechignent à le suivre, il découvre dans les medias qu’il existe des opportunités de financement via l’agrivoltaïsme. En 2011, Global EcoPower (GEP), fabricant de centrales éoliennes et solaires, lui apporte d’ailleurs les fonds nécessaires en échange de l’installation sur les serres de 12 000 panneaux photovoltaïques qui permettent la production de 4MWh par an. Mais les termes du permis de construire accordé par la mairie, autorité compétente en terme d’urbanisme via le PLU, sont clairs : « des productions agricoles devront impérativement être réalisées sous les serres photovoltaïques ».
Malgré la revente par GEP des panneaux et de l’activité énergétique à Léonidas Management, un fonds d’investissement allemand spécialisé dans ce marché ( 700 millions d’euros sont en jeu entre l’Allemagne et la France ) , les premiers mois d’exploitation se passent plutôt bien. Les fraises sont vendues dans les grandes surfaces de Maine-et-Loire alors qu’une cueillette à la ferme est proposée aux particuliers. Les choses ne vont cependant pas tarder à se gâter comme l’explique Jacques Réthoré, l’ancien maire de Bourgneuf-en-Mauges, lorsqu’il répondait au journaliste du trimestriel régional la Topette de septembre 2021. « Pour ne pas moisir, les fraises ont en effet besoin d’aération. Et si on ouvrait les serres, cela faisait de l’ombre aux panneaux photovoltaïques. L’objectif de Léonidas, c’était de faire de l’électricité, pas de l’agriculture. Ils avaient fait signer un document à l’agriculteur afin que les ouvrants ne soient pas ouverts à plus de 20 ou 30% ».
La production n’étant plus à la hauteur de ses attentes, Régis Guiet, qui connaît parallèlement de graves problèmes de santé, finit par cesser son activité en 2017. Avant de revendre son bail rural à une filiale de la GEP qui rebaptise le lieu Verger de la Marottières.
Plus d’activité agricole depuis 2017
Attentive depuis le début à ce qui se passe sous les serres de Bourgneuf-en-Mauges, la Confédération Paysanne monte cette fois au créneau. La nouvelle situation constitue en effet pour le syndicat « un détournement de procédure au regard de la législation sur les centrales photovoltaïques au sol ». Détournement qui, faute d’une nouvelle activité agricole sur le site, implique la « pénalisation du propriétaire pour non respect du permis de construire ».
Si plusieurs projets ont été évoqués au fil des années – le plus sérieux ayant été celui de convertir les vergers en une unité de production de spiruline -, aucun n’a effectivement vu le jour. La nouvelle reprise du bail rural s’est donc opérée au profit d’une SARL siégeant en Corse appartenant à la présidente de Leonidas Management, Antje Grieseler, après le placement en liquidation judiciaire de GEP. Une façon d’éloigner encore un peu plus ces terres de leur vocation agricole initiale. Inquiet quand au fait que le sol puisse un jour être à nouveau cultivé, Anthony Robin de la confédération paysanne constate en tout cas que « les acteurs financiers se satisfont visiblement de voir des
terres agricoles se transformer en friches ». A la suite de ce constat dressé il y a un an par huissier, l’antenne départementale du syndicat agricole a donc décidé il y a quelques semaines de « saisir le procureur de la République par la voie d’une plainte contre la SNC Ferme solaire des Citronniers (ex-Verger des Marottières) » et de « présenter au préfet de Maine-et-Loire une demande d’indemnisation préalable ».
Dans l’attente d’une éventuelle décision juridique, l’expérience d’agrivoltaïsme de Bourgneuf-en-Mauges tourne désormais au fiasco, et reste exemplaire de dossiers non concertés qui échappent quoiqu’il en coute à l’agriculteur.