Produire du biométhane à partir de déchets. C’est l’ambition portée par la méthanisation. Les agriculteurs bâtissent, en majorité, le scénario. Mais l’histoire montre que les industriels sont nombreux à entrer sur le marché. C’est le cas à Soudan (Loire-Atlantique), à mi-chemin entre Rennes et Angers.
En 2018, Sede environnement, filiale de Veolia, a racheté une unité de méthanisation et de compostage à un agriculteur de Soudan, en Loire-Atlantique. Crédit Pauline Roussel.
C’est le récit d’un agriculteur qui se dit “novateur” et investit dans un méthaniseur, d’une société d’énergéticien qui reprend l’installation, et d’une association qui se soulève contre les dérives d’une “usine à gaz”.
“Chef d’entreprise”
Tout commence avec Jean-Luc Guigourese, l’agriculteur. Le néo-rural s’installe à Soudan (Loire-Atlantique) en 1983 comme éleveur de porcs. De 0 hectare, il passe rapidement à 200 et produit des céréales. Inspiré par un voyage en Allemagne, il songe avec son associé à se lancer dans la méthanisation de cogénération dès 2004. “J’étais chef d’entreprise avant d’être paysan”, prévient l’homme.
En 2016, la machine est en route. “Elle a été créée dans la zone de Hochepie, où j’ai également développé ma plateforme de compostage. J’ai investi 4 millions d’euros.”
Rentabilité
Jean-Luc Guigourese convertit le méthane produit par l’unité en électricité et chaleur. Une usine voisine, la fonderie FMGC, consomme. “Pour qu’une production soit rentable, les meilleurs déchets sont ceux de l’industrie, commente-t-il. Les déchets agricoles, ça ne donne rien.”
Trois ans plus tard, la retraite a sonné. ll revend, en mars 2018, son unité mixte à Sede environnement. L’entreprise, filiale de Veolia, “veut prendre part à la production de gaz et s’est donné pour objectif le rachat de sites de méthanisation”, peut-on lire dans le magazine Biogaz.
“Je ne voulais pas que mes enfants reprennent le flambeau à leur nom. La gestion est complexe financièrement, techniquement et socialement.” Son fils est toutefois engagé par Sede comme responsable d’exploitation du site.
“Pour moi, l’histoire s’arrête à la vente.” Après le rachat, compostage et méthanisation ne forment plus qu’une société : la SAS Meetha. Néanmoins, chaque activité est autonome.
Alerte pollution
“À la reprise, la partie méthanisation était récente. La partie compostage était plus âgée et non conforme, retrace Marguerite Denis, responsable du traitement des matières organiques dans l’Ouest pour Sede. La plateforme, qui accueillait des boues de stations d’épuration et des déchets verts, n’était pas étanche. Il y a eu des écoulements dans le milieu naturel.” L’association Bien Vivre en Anjou alerte la préfecture en mars 2018 pour pollution des eaux de surface et souterraines. En mai, le site est mis en demeure. Il est nettoyé et imperméabilisé dans la foulée.
46 tonnes par jour
Le projet d’extension de volume de la plateforme de compostage est à l’étude.
Côté méthaniseur, SAS Meetha est passée à l’injection de biogaz directe dans le réseau et “recycle des intrants plus méthanogènes, en majorité issus de l’agro-industrie”.
“Des déchets de l’industrie laitière, des matières stercoraires [ fécales animales, ndlr ] et des graisses d’abattoirs…, énumère l’agronome de formation. 70 produits différents, solides et liquides, sont mélangés dans le digesteur à hauteur de 46 tonnes par jour.”
Sede s’approvisionne également en lisier, fumier et cive auprès des paysans (20 % de la ration). “C’est un méthaniseur de taille moyenne”, estime la technicienne.
“Poison”
“Nous analysons les produits, à l’entrée et à la sortie, pour s’assurer qu’ils ne contiennent ni bactérie, ni polluant comme des métaux lourds ou des hydrocarbures”, insiste Marguerite Denis.
Or aujourd’hui, des scientifiques et des riverains commencent à s’interroger sur l’innocuité du digestat, résidu rendu par le méthaniseur et épandu sur les terres agricoles, surtout quand il est produit par l’agro-industrie, comme le soulève le média breton Splann !. Pour l’heure, rien d’officiel.
“Les déchets agro-industriels augmentent les risques de pollution, pense Anne Danjou, présidente de Bien Vivre en Anjou et co-fondatrice du Collectif national vigilance méthanisation (CNVMch). Le digestat empoisonne les sols, les eaux, les animaux, et nous. Sans parler des risques d’incendie voire d’explosion encourus avec les méthaniseurs, des réacteurs chimiques.”
Technologie pas sans risque
Cependant, le 8 juillet 2023, un incident s’est produit à la SAS Meetha. Après avoir nettoyé un des deux digesteurs et remis le digestat à l’intérieur, il y a eu un moussage. “Une soupape, sur laquelle nous avions ajouté une protection pour la sécurité de nos techniciens, n’a pas fonctionné.”
La pression est montée. Un dôme s’est déchiré. Du méthane s’est envolé dans l’atmosphère[1]. Sede environnement, par la voix de Marguerite Denis, ne nie pas : “Il y a eu un impact environnemental. Ce sont des incidents qui peuvent arriver.”
[1] Même s’il disparaît spontanément après quelques années, le méthane, du CH4, est 20 à 25 fois plus polluants que le CO2.
Vidéo SAS Meetha