Malgré l’expérience visiblement ratée des serres de Bourgneuf-en-Mauges, l’agrivoltaïsme a fait du chemin dans les campagnes françaises. Au point qu’une loi, dont le décret d’application va être promulgué fin janvier, a été votée pour encadrer le développement de l’agrivoltaïsme. Mais de quoi parle-t-on réellement ?
Né au début des années 1980 des recherches de deux physiciens allemands, Adolf Goetzberger et Armin Zastrow, qui s’intéressent aux possibilités de cohabitation sur un même terrain de centrales voltaïques et de cultures, l’agrivoltaïsme se développe dans un premier temps en Asie. Et plus particulièrement au Japon. Le principe est simple : installer des ombrières permettant l’exploitation de la luminosité pour la production d’électricité sans nuire à l’exploitation agricole du sol.
Agrivoltaïsme : de quoi on parle ?
En France, où les premières expériences menées à partir de 2009 par l’INRAE en partenariat avec la société SunR donnent naissance au projet Sun’Agri, le terme d’agrivoltaïsme apparait officiellement en 2011 dans le Code de l’énergie. L’article L. 314-36 de ce document de référence définit ainsi une installation agrivoltaïque comme « une installation de production d’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil et dont les modules sont situés sur une parcelle agricole où ils contribuent durablement à l’installation, au maintien ou au développement d’une production agricole ».
Le texte stipule a contrario que « ne peut pas être considérée comme agrivoltaïque une installation qui (…) ne permet pas à la production agricole d’être l’activité principale de la parcelle agricole » ou qui « n’est pas réversible », tout en précisant que l’agrivoltaïsme doit favoriser la production agricole par « l’amélioration du potentiel et de l’impact agronomiques, l’adaptation au changement climatique, la protection contre les aléas et/ou l’amélioration du bien-être animal ».
S’il faut attendre 2021 pour que la FNSEA seule et le réseau des chambres d’agriculture signent une charte de bonnes pratiques avec EDF Renouvelables et que 90 acteurs du secteur se réunissent au sein de l’association France Agrivoltaïsme, la prise de conscience de la nécessité d’une transition énergétique globale va accélérer les choses. Et donner à l’agrivoltaïsme un premier cadre législatif.
Quel cadre législatif ?
Le 11 mars 2023 est ainsi publiée au Journal Officiel la loi n°2023-175, dite loi APER, qui a pour Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, « un double objectif, l’accélération des projets d’énergies renouvelables et la préservation de notre souveraineté alimentaire, le développement maitrisé de l’agrivoltaïsme étant un des leviers pour traduire cette ambition ». Le tout en garantissant « une production agricole significative et un revenu durable » et en s’assurant de « l’absence d’effets négatifs sur le foncier et les prix agricoles ». Si le décret d’application de cette loi n’est toujours pas paru à l’heure où nous écrivons ces lignes, les principales dispositions de son article 54 relatif à l’agrivoltaïsme ont été précisées début décembre après que
la première ministre a rendu ses arbitrages sur le sujet. C’est ainsi que selon le communiqué de presse de Marc Fesneau en date du 7 décembre, le décret devrait préciser que la perte de rendement de la production agricole dû à l’agrivoltaïsme ne pourra pas excéder 10%, que le taux maximum de couverture photovoltaïque (fixé au maximum à 40% pour les projets de plus de 10MW) devra garantir que la production agricole reste l’activité principale ou bien encore que dans le cadre de la réversibilité, des garanties financières seront exigées pour tous les projets afin qu’ils favorisent l’installation et la transmission des exploitations agricoles.
Pourquoi faut-il s’en méfier ?
Malgré les assurances de Marc Fesneau pour qui ce nouveau cadre permet d’éviter « les projets alibis » tout en offrant « un certain nombre de garde-fous pour les projets photovoltaïques sur des terrains agricoles, naturels ou forestiers », des inquiétudes demeurent dans le monde agricole. En particulier du côté de la Confédération paysanne qui a établi une longue la liste de menaces que l’agrivoltaïsme fait planer sur l’agriculture et les agriculteurs. Citons ici « L’artificialisation durable des terres par la réduction de la photosynthèse liée à l’installation de panneaux photovoltaïques ; la déstabilisation du marché foncier agricole avec un rapport pouvant aller de 1 à 30 pour le fermage selon qu’il y ait du photovoltaïque ou pas. Ou même carrément une déprise agricole au moment de la transmission pour des terres beaucoup mieux valorisées financièrement par le photovoltaïque que par l’agriculture ; la dégradation de la qualité de vie des agriculteurs sous un environnement de panneaux. Mais surtout la précarisation et la perte d’autonomie de paysans qui adaptent leur cultures et leurs pratiques aux centrales photovoltaïques. Voire même la perte de leur statut quand les revenus tirés de la production d’énergie sont plus importants que ceux tirés de produits agricoles qui ne sont pas rémunérés à leur juste valeur ».
Un rapport de l’ADEME datant déjà de 2018 concluait que le potentiel de production d’énergie photovoltaïque sur les toitures et espaces artificialisés serait suffisant pour répondre aux objectifs fixés par le gouvernement et que « la meilleure façon de relever les défis énergétiques, [serait] de réduire drastiquement la consommation ». Une préconisation à changer de paradigme avant tout et de penser que la sobriété énergétique pourrait se combiner naturellement d’avec l’activité agricole. Une issue que pour l’instant, tous les acteurs de de nouveau chantier tentent de contourner.