Les arbres, bocages et forêts regorgent de ressources comestibles. En Ille-et-Vilaine, des paysans-forestiers défendent un autre rapport au vivant, où l’humain apporte des bénéfices à la nature et vice-versa.
Le miel, le fruit, la sève et la fleur. Des comestibles produits au cœur des forêts, des arbres et du bocage. Ils sont aussi ce que l’on nomme des Produits forestiers non ligneux ou PFNL.
En 1999, l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) définit les PFNL comme “des biens d’origine biologique autres que le bois, dérivés des forêts, des autres terres boisées et des arbres hors forêts”.
Des paysans-forestiers d’Ille-et-Vilaine s’attachent à prélever ces ressources en cohérence avec le milieu naturel. Rencontres croisées, boisées et gourmandes.

Dominique Loucougain, apiculteur à Cesson-Sévigné et fondateur de la coopérative Pangaea’ttitude, a installé six ruchers autour de Cesson-Sévigné. Crédit photo : Pauline Roussel

APICULTURE SOUS BOIS

16 janvier 2024. Ça caille. Et même, ça gèle. Les abeilles hivernent. L’homme pénètre dans le bois sauvage. Sous ses semelles, les feuilles et la terre craquent.
Dominique Loucougain, apiculteur à Cesson-Sévigné et fondateur de la coopérative Pangaea’ttitude, dresse un inventaire. “Noyers, châtaigniers, chênes centenaires, arbres à miel, lavande, lierre… Voilà un bel environnement mellifère !”
Au milieu de cette forêt de quatre hectares, dans une clairière qui accueille aux beaux jours le soleil, treize ruches endormies. Ses habitantes, des abeilles noires[1]. Le Rucher de la Villeneuve, de son nom, est installé ici depuis 2015.

 

NECTAR FORESTIER

Loin du modèle de l’apiculture intensive, Dominique pose toujours ses ruchers à la lisière ou au cœur de zones boisées préservées des pesticides.
“Les arbres, comme les plantes, fleurissent. Si des essences diverses se côtoient dans un bois, elles offrent une floraison tout au long de la saison apicole.” Un garde-manger floral et abondant, idéal pour rassasier les abeilles qui butinent puis pollinisent les fleurs.
“C’est un cercle vertueux, elles préservent notre biodiversité et assurent notre sécurité alimentaire.” Grâce à ses pollinisatrices, Dominique assure récolter plus de noix, plus de châtaignes.

 

Pendant toute la saison apicole, de mi-mars jusqu’à fin novembre, les arbres et les plantes offrent une floraison. Crédit photo : Pangaea’ttitude

La forêt produit de la fraîcheur aux ruches. Crédit photo : Pangaea’ttitude

FRAÎCHEUR

Préserver ou régénérer la biodiversité, la démarche participe aussi à adapter le vivant au dérèglement climatique qui sévit. “Les abeilles aiment la chaleur, mais pas les canicules qui dérèglent le fonctionnement de l’essaim. Les arbres leur procurent de la fraîcheur”, témoigne le sexagénaire, soucieux du bien-être animal. En mémoire, l’été 2022, quand Rennes suffoquait sous 40.5 °C.

“GLANEUSE”

19 janvier 2024. “Un apiculteur ? J’en accueille bientôt un sur ma parcelle de forêt.” 

 

Une trentaine de bouleaux sont également présents en contrebas du verger de Florine Bourgogne à Mordelles. Crédit photo : Pauline Roussel

Florine Bourgogne claque la porte de son mobil home et empoigne la cafetière, posée sur le poêle. “Par ce froid, ça va nous réchauffer un peu.” Depuis 2016, elle vit sur les terres de son verger de 5 000 m², à Mordelles. “Je récolte des petits fruits sauvages, cassis, groseilles, framboises, châtaignes… En mini-volume ! Je les transforme dans mon labo, en confitures, jus ou sirops. Je fais aussi de la cueillette sauvage, c’est mon côté glaneuse.” Sourire et regard malicieux.

En 2019, son entreprise Le Verger de l’Utopie s’étend. Florine achète une parcelle de bois à l’orée de la forêt de Brocéliande sur la commune de Paimpont. Trois hectares où vit essentiellement du bouleau, dont la femme prélève la sève[2].

L’APPEL DE LA NATURE

À 40 ans, Florine est une jeune paysanne. Elle a travaillé une dizaine d’années dans le social avant de se reconvertir. “Je voulais vivre en symbiose avec l’environnement, en ayant le moins d’impacts possibles.”
Mi-février, la récolte de la sève commence. “Elle va durer trois semaines environ. Je pense qu’elle sera bonne cette année, les sous-sols forestiers sont gorgés de flotte. L’année dernière, ils étaient secs et le début de saison a été compliqué, les arbres manquaient d’énergie. La bétulicultrice marque une pause. Toutefois, la sève finit toujours par monter.”

La sève de bouleau se collecte après avoir percé un trou de deux centimètres et demi dans le tronc. Florine y insère un embout relié à un tuyau. La sève coule goutte à goutte dans un bidon. À la fin de la récolte, elle referme le trou avec une bout de bois taillé sur mesure, pour une cicatrisation optimale. Crédit photo : Pauline Roussel

La forêt est aussi victime des sécheresses. Pourtant les arbres produisent tous les ans. Et si ce n’est pas de la sève, ce sont des racines, des graines, des fruits, des écorces, des feuilles ou des fleurs.

“NATURELLEMENT MAL ÉLEVÉES”

24 janvier 2024. “Je fais aussi de la sève de bouleau. Mais avant tout, je produis des boissons bio naturellement mal élevées”, s’amuse Clément Descottes.
 En 2017, naît l’entreprise familiale Baies sauvages en plein bourg de Mernel, où une ancienne étable a été retapée et transformée en laboratoire.
C’est ici que le jeune homme de 30 ans crée ses fameuses boissons (sirops, pétillants, liqueurs), à partir de plantes sauvages cueillies çà et là dans des espaces naturels préservés ou dans sa propre parcelle. Une friche agricole boisée d’environ deux hectares, située à Guipry-Messac et acquise en 2022.

RESSOURCE SUR PLACE

La friche et son sol caillouteux étaient abandonnés depuis une trentaine d’années. Des arbres, dont le bois n’intéressait pas, s’échappaient d’un dense amas de ronces. “La parcelle était impénétrable. On l’a défrichée tout en préservant son caractère sauvage. La contrainte des productions en forêt, c’est souvent l’accessibilité”, confie Clément, ingénieur horticole de formation.
Ce qui l’a attiré vers cette friche ? Des centaines de pieds de sureaux, venus spontanément, dont il cueille aujourd’hui les fleurs blanches. “L’idée, c’est de faire en fonction des ressources naturelles disponibles et non-exploitées dans un territoire donné et de les valoriser à cette échelle.”

SAVEURS OUBLIÉES

Clément zieute ses étagères et énumère un échantillon alléchant de sa production : “Sirop de menthe aquatique, pétillant d’ortie, liqueur à la fleur de sureau…”
La flore sauvage regorge de saveurs méconnues ou oubliées”, lance-t-il, une bouteille de frênette à la main. “C’est un pétillant aux feuilles de frêne. À l’époque, il était confectionné dans nos campagnes en remplacement du cidre.”

Philippe Descottes (à droite) a transmis le flambeau de l’entreprise familiale Baies sauvages cette année 2024 à son fils Clément (à gauche). Les voici en pleine cueillette de fleurs de sureau. Crédit photo : Baies sauvages

“PRÉSERVATION PAR L’USAGE”

Comme quoi, “une forêt, ce n’est pas qu’une ressource en bois”, enchérit Minh Cuong Le Quan, ingénieur agronome et cofondateur de Mezen. Ce collectif, en voie de devenir une association, s’est donné pour mission de promouvoir la filière PFNL en France et la “préservation par l’usage”.
“Il s’agit pour l’homme de trouver sa juste place dans le vivant. C’est une pratique ancestrale, à l’image de la production de farine de glands au Néolithique.”

 En France[3], les PFNL ont été délaissés au fil du temps. Nous travaillons à organiser la filière pour garantir des revenus dignes aux producteurs, tout en cherchant à rendre leurs produits plus populaires et donc, accessibles”, conclut l’ingénieur. La filière échappe encore à la recherche scientifique, qui se penche plutôt sur l’agroforesterie, soit sur l’interaction entre une culture (agricole, élevage) et les arbres, une méthode qui place aussi l’arbre dans le système alimentaire.

1 Une espèce endémique menacée de disparition.
2 La sève, ou eau de bouleau, est consommée pour des cures en sortie d’hiver, notamment pour “nettoyer l’organisme”. Aucune étude scientifique ne s’est vraiment penchée sur les vertus de la sève de bouleau, mais la médecine reconnaît à ce produit alimentaire un effet diurétique.
3 Dans le monde, “plusieurs millions de ménages dépendent fortement des PFNL pour leur subsistance et/ou revenus. Environ 80% de la population des pays en développement utilisent des PFNL pour leurs besoins sanitaires et nutritionnels”, note la FAO. Dans les pays d’Afrique centrale où les forêts constituent le deuxième massif forestier tropical du monde, les PFNL sont une véritable ressource de subsistance pour les populations. L’organisation défend l’instauration d’un cadre pour cette filière, afin d’éviter la surexploitation.