Notre-Dame-des-Landes, Loire-Atlantique. Pénétrer dans la forêt de Rohanne, c’est découvrir un écosystème riche et varié. Mais aussi une vision politique, une écologie et une économie paysanne. Cogérés par le Département, l’Office national des forêts et les zadistes, les 50 hectares de bois sont préservés grâce au travail des paysans et à leur enracinement à ce commun.

La forêt de Rohanne est cogérée par le Département de Loire-Atlantique, qui en est le propriétaire, l’ONF, dont la mission est de gérer les forêts publiques, et l’association Abracadabois, collectif d’occupants de la Zad de Notre-Dame-des-Landes qui assure la gestion forestière sur zone. Crédit photo : Pauline Roussel

“Elle est belle, la forêt.” Sourire et oeil qui pétille.

Janvier 2024. Un chemin, la boue, les flaques. L’odeur humide de la terre, de la mousse, du lierre. Des feuilles, des pommes de pins, des coques vides de châtaigne, couchées sur le sol. Et le soleil d’hiver. Ses rayons mordorés qui percent la cime des arbres. Les oiseaux qui chantent.
Plus loin, quand on s’enfonce un peu dans la forêt de Rohanne, il y a aussi des rondins de bois résineux coupés, rangés, alignés. Issus de la coupe de cet hiver, ceux-là serviront au chauffage. D’autres, à la construction des lieux de vie collectifs et habitations de la Zad (zone à défendre) de Notre-Dame-des-Landes.

La contemplation est forte, quand on sait que le bitume aurait recouvert la terre ; l’odeur du kérosène celle de la mousse ; le bruit des réacteurs, le chant des oiseaux. Depuis 2018, et la victoire du mouvement contre l’aéroport, la forêt de la Zad est libérée.

COGESTION TRIPARTITE

En avril 2023, la gestion des 50 hectares de la forêt de Rohanne est partagée entre trois acteurs.
Le Département de Loire-Atlantique, propriétaire du site ; l’Office national des forêts (ONF), dont la mission est de gérer les forêts publiques ; et l’association Abracadabois, collectif d’occupants qui entretient la forêt de la Zad (martelage, bûcheronnage, débardage au cheval, sciage…).

UN COMMUM A PRÉSERVER

“Nos activités forestières ont commencé dès 2015, afin de construire en dur à la Zad et s’ancrer dans la durée.” 

La forêt de Rohanne s’étend sur 50 hectares sur la commune de Notre-Dame-des-Landes, au nord de Nantes (Loire-Atlantique). Crédit photo : Pauline Roussel

On a quitté la forêt, et Michel nous accueille à l’abri de la pluie, dans le salon d’une maison collective.
Membre d’Abracadabois arrivé sur zone en 2012, il se souvient des cabanes sauvages érigées dans les arbres pour les protéger.
En janvier 2018, quand le gouvernement d’Édouard Philippe annonce l’abandon du projet d’aéroport, les zadistes luttent pour ne pas perdre les terres, continuer à “les habiter en commun”.
“Un territoire se défend avec celles et ceux qui l’habitent, et se préserve de la même manière”, pense Michel. S’ouvre alors un long processus de discussion, entre l’État, les institutions et les habitants pour régulariser leurs activités sur zone, dont celles dans la forêt.

 

Stockage de bois de chauffage (bois aux dimensions non sciables) avant fendage et distribution aux différents lieux de vie et d’activité de la Zad. Crédit photo : Pauline Roussel

SYLVICULTURE DOUCE

“On pratique une sylviculture douce, raconte l’ingénieur forestier de formation. On choisit les arbres à couper, pied par pied, en prenant le temps de la réflexion et avec une vision sur plusieurs générations.”
Rohanne est à mille lieux de la foresterie industrielle, des paysages meurtris par les coupes rases, le tassement des sols par les engins et la monoculture. Les origines de la forêt remontent aux années 40, avec une première plantation de pins sylvestres. Fin des années 50, le douglas arrive. Les décennies passent et une grande variété d’essences spontanées s’installe : châtaignier, chêne, bouleau, merisier…

 

FUTAIE IRRÉGULIÈRE

Lors de la signature de la convention tripartite en 2023, Abracadabois défend son regard sensible sur la forêt auprès des institutions. Elles finissent par adopter les principes de l’association.
“Dans le plan de gestion, prévu sur 20 ans, le Département, l’ONF et l’association partagent le même projet : gérer la forêt en futaie irrégulière. C’est une futaie où tous les âges de la vie d’un arbre sont mélangés. Il y a des petits, des moyens, des gros et même des très gros bois, et des trouées. On coupe principalement parmi les gros bois, pour laisser la place à la régénération naturelle.”

Le bois récolté en forêt et “sciable” est transporté jusqu’au hangar à bois où se trouve l’atelier de sciage. Les artisans le découpent alors, notamment en vue de projets de construction. Crédit photo : Pauline Roussel

BESOINS COUTUMIERS

Aujourd’hui encore, la cogestion forestière permet de répondre aux besoins coutumiers sur zone, même si ce n’est pas la volonté de construire ou de se chauffer qui rythme les coupes, mais plutôt la relation au vivant.
“Sinon, il y aurait un risque d’appauvrir la forêt, alerte Michel. Le prélèvement du bois est défini par la possibilité forestière, liée à la fertilité de la forêt.”
En fonction du bois récolté, des bâtiments collectifs peuvent naître. “Comme le hangar agricole de la Gaîté ou le hangar à bois, où on le stocke et le scie.”
“La forêt est un commun intégré dans la dynamique de la Zad et même au-delà. 

On y organise des chantiers d’initiation, pour échanger sur notre vision forestière avec des stagiaires qui viennent d’un peu partout en France.” Et partager leur vision politique, existentielle. La paysannerie.

PAYSANS DE LA FORÊT

200 personnes habitent un peu plus d’un millier d’hectares et vivent en autogestion à Notre-Dame-des-Landes. “Habiter n’est pas loger. Habiter traduit une relation d’attachement et de dépendance au territoire. La paysannerie procure un rapport plus juste au vivant.” Michel en est convaincu.
“Les paysans sont ceux qui habitent et façonnent le paysage, travaillent le territoire et vivent de ses ressources. Notre relation à la forêt incarne parfaitement cette vie. On restaure cette image du paysan, sans tomber dans le passéisme.”
La paysannerie, c’est aussi une économie, collective et locale. La seule, selon le zadiste paysan, qui s’oppose frontalement à celle mondialisée du capitalisme et “permet de sortir d’un monde industriel qui va droit dans le mur.”

 

Une économie locale et collective paysanne, c’est un circuit ultra-court. Le  bois collecté en forêt permet de se chauffer et de construire en dur sur zone, en priorité des bâtiments collectifs, comme le hangar à bois ici. Crédit photo : Pauline Roussel

NÉCESSAIRE CONFLIT ?

Contre la destruction massive et indolente du vivant, les zadistes comme les Soulèvements de la Terre ont choisi la lutte collective. “Le conflit est nécessaire.”
L’État français n’est pas fait du même bois. Avec la loi Biodiversité de 2016, il a créé un outil juridique pour protéger l’environnement, autrement : l’Obligation réelle environnementale ou ORE.

UN OUTIL DE BIODIVERSITÉ

Avec cet outil, tout propriétaire privé ou public (région, département, commune) d’un bien peut le protéger et ainsi sauvegarder ou restaurer ses fonctions écologiques.

À l’image du propriétaire d’une forêt, qui voudrait la préserver des coupes rases ou d’autres projets industriels.
Il inscrit cet engagement dans un contrat, l’ORE, signé devant un notaire avec un cocontractant tel un organisme agréé pour la protection de l’environnement. Ses conditions seront respectées, même en cas de vente ou de succession de son terrain, pour une durée de 20 à 99 ans.
Encore méconnu, cet outil sort peu à peu du secret. Des associations environnementales en font la promotion pour conserver des poches de biodiversité ou en créer de nouvelles. Grâce à l’ORE un projet de plantation de forêt est sorti de terre en Dordogne.

LÉGITIME DÉSTRUCTION ?

Et puis, il y a l’ORE dite de compensation écologique, qui trouve son intérêt auprès des maîtres d’ouvrage.
“Comme le constructeur d’un parc éolien qui doit artificialiser des sols pour son activité. Nous l’accompagnons dans la mise en place de ses mesures compensatoires”, illustre Nicolas Lahogue, responsable adjoint du cabinet Dervenn, expert en génie écologique, à Betton (Ille-et-Vilaine).
Dervenn devient cocontractant, et l’énergéticien souscrit une ORE avec un particulier qui possède une zone humide, afin qu’elle soit protégée et suivie pendant 20 ans.
Le cabinet s’est spécialisé dans l’ORE de compensation. Rares sont les associations environnementales qui s’engagent dans ce type de projet, perçu comme légitimant la destruction d’écosystèmes. Dont, potentiellement, des forêts.