Valérie Jousseaume, enseignante et chercheuse à l’Institut de géographie et d’aménagement de l’université de Nantes, au sein de l’équipe CNRS « Espaces et Sociétés » a signé « Plouc Pride, nouveau récit pour nos campagnes », une proposition de construction autour d’une nouvelle utopie, à la recherche d’un lieu qui n’existe pas encore dans nos campagnes et que nous cherchons encore à aménager. Pour elle, la crise agricole n’en est que le premier soubresaut, une étape. La mutation est en route.
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Si l’on analyse le malaise agricole par l’économie ainsi que par la sociologie, on ne doit pas s’épargner d’en avoir une vue territoriale ce qui est votre cas. Comment voyez-vous la crise que nous traversons?
J’analyse la crise agricole plutôt à partir de grands cycles et ici, il faut lire les choses au prisme de mutations importantes. Nous étions auparavant des paysans devenus des modernes et on est en train de sortir actuellement de cette modernité. Et nous sommes face à deux extrêmes: l’hyper modernité d’un côté ou l’autre option, celle où l’on atterrit, on décroît si vous voulez.
Nous sommes dans l’oeil du cyclone en quelque sorte?
Oui, en transition. Dans ce prisme, les paysans sont devenus des agriculteurs modernes avec la révolution agricole des années 60, et aujourd’hui on sort de la modernité.
Soit on continue à créditer la technologie, tel que cela se présage et donc l’hyper-modernité, et là on s’en va vers un modèle de production techniciste. Mais dans ce modèle, on assiste à la fin des agriculteurs, c’est inévitable.
On a déjà vécu la fin de la paysannerie et là, on va vers la fin des agriculteurs tels qu’on les connait aujourd’hui, ce qui remet en cause le pacte néolithique qui disait que les agriculteurs devaient nourrir le monde.
Nous en sommes là? Croyez vous que ce que vous présagez soit audible?
Il faut écouter et regarder nos débats actuellement. Ce n’est pas « moral » de manger de la viande, de « détruire » les animaux, donc nous nous dirigeons tout droit vers une consommation de viande et oeufs de laboratoire ou des farines protéinées. Dans ce cas, nous pourrions avoir une alimentation non agricole et voir les terres rachetées massivement par l’agro-business qui en ferait de la spéculation uniquement pour de l’énergie par exemple, ou d’immenses fermes-usines automatisées.
Dans l’autre paradigme, c’est le modèle où nous atterrissons comme le dit Bruno Latour et dans lequel il faut repenser une civilisation agro-écologique. Le choix entre ces deux pôles semble difficile et la cohabitation malheureusement impossible.
Pourquoi par exemple dans le modèle de l’agriculture moderne n’avons nous pas gardé d’agriculture paysanne?
Comment envisagez vous alors nos actions à la lumière de votre prospective?
Nous sommes entrés dans une phase révolutionnaire entre des gens qui veulent atterrir – je maintiens ce terme, il dit beaucoup de la déconnection de nos dirigeants actuels – et des gens qui veulent continuer dans l’hypermodernité. Michel Mafesolli dans « L’ère des soulèvements » l’avait déjà évoqué il y a quelques années, nous sommes actuellement dans cette phase longue des révolutions, et ce n’est que le début. Concernant les agriculteurs, on les a ainsi forcés a adhérer à un modèle dont il va falloir se détacher dans une certaine forme de douleur et c’est la situation que nous vivons actuellement.
Je travaille pour ma part sur comment est-ce qu’on peut construire quelque chose de positif pour tous dans les campagnes avec un futur désirable mais je ne suis pas très optimiste, je vous avoue.
Regardez par exemple, le passage de la paysannerie aristocratique à l’industrialisation bourgeoise au 19ème siècle a été un moment où les révolutions se sont succédées partout en Europe dans la douleur. Nous sommes partis pour un siècle de révolution pour passer d’un modèle à l’autre, la crise agricole n’étant qu’un symptôme de préfiguration de tous ces changements.
Valérie Jousseaume, « Plouc Pride », Editions de l’Aube – 2019
Merci pour votre réflexion réaliste et si complexe pour remettre les hommes de la terre et le peuple dans le bon chemin sans faire de casse et que cela ne profite plus à certains qu’à d’autres.
La terre a souvent aidé l’humanité, mais pas le pouvoir ni les financiers. C’est eux qui ont créé le monde agricole d’aujourd’hui avec le monde urbain de l’époque qui se moquait du monde rurale .
Merci de nous lire aussi activement et entièrement d’accord avec vous …heureusement il y aura peut etre une 3ème voie?