Fervent défenseur de l’agroécologie et vif combattant des chimistes de l’agriculture, Marc Dufumier, célèbre agronome et spécialiste des systèmes agraires, revient sur les bouleversements agricoles européens. Il tire ici les perspectives sanitaires et sociales qu’engagent les NGT (New genomic techniques ou nouvelles techniques génomiques), les nouveaux OGM sélectifs pour les cultures. Santé, dangers et pressions en tout genre au pays des semences.

Depuis la parution de l’avis de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), le 6 mars 2024, recommandant une évaluation au cas par cas de nouveaux OGM avant leur mise sur le marché européen, et le désordre des positions gouvernementales à ce sujet, on rebat les cartes du vivant et de son exploitation à tous les étages. Pouvez-vous nous éclairer sur les enjeux que nous traversons aujourd’hui ?

Ma préoccupation première est l’érosion de la biodiversité et la qualité de nos aliments en relation avec le recours à des variétés végétales qui ont été sélectionnées pour leur seul haut rendement, avant même les OGM et ces nouvelles techniques génomiques. C’est ce qui s’appelait autrefois la sélection paysanne ou sélection massale.

Les ravageurs, les champignons pathogènes, les herbes adventices locales, cette sélection tolérait tout cela pendant des siècles. Jusqu’au siècle dernier où l’on a confié cette sélection à des agronomes. On leur a dit qu’il fallait des variétés à haut potentiel génétique de rendement et qu’il fallait retirer des gènes trop locaux pour unifier les cultures, et faire vite pour parvenir à ces choix. Tout cela a été le début de la fin.

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Tels ont été les choix historiques politiques agricoles français ?

Oui, particulièrement avec cette sélection génétique et hybridation classique. Nous sommes parvenus en France à ces objectifs avec tous les produits en -cide qui allaient avec. Dans notre nourriture, il y a donc des métabolites, des pesticides et des perturbateurs endocriniens, qui amènent des cancers du sein, de la prostate, la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson.

Nous vivons donc avec ces risques alimentaires confirmés ?

Annoncés comme des risques prématurés, ils vont être avérés pour la jeune génération qui a été exposée à ces produits depuis sa présence in utero jusqu’à la fin de la croissance. Pour la leucémie notamment, il y a une relation directe, c’est avéré. Pour les cancers du sein et de la prostate, c’est directement lié et avéré à l’usage du glyphosate et surtout de l’Ampa [L’Ampa ou acide aminométhylphosphonique est un métabolite du glyphosate. En d’autres termes, c’est l’un des produits de dégradation résultant de la décomposition du glyphosate dans l’environnement. L’Ampa a attiré l’attention en raison de sa persistance dans l’environnement et de sa présence possible dans l’eau, le sol et les aliments, NDLR].

L’Ampa, pour le fameux roundup notamment ?

C’est un perturbateur endocrinien, et je me dois de répondre que c’est un « cancérigène avéré ». Mais on ne pourra seulement le définir que dans quarante, cinquante ans, comme « statistiquement avéré ». Pour l’Ampa, c’est « avéré » de cause à conséquence depuis le départ par les endocrinologues. Le drame, c’est que plutôt que de dire « démontré », on dit « probable ». C’est hérétique. Les lobbys font croire de fait qu’on peut encore attendre. Alors qu’il y a urgence de ne pas y être exposé.

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Le parlement européen s’est prononcé récemment en faveur d’un assouplissement de la réglementation autour des NGT. @Crédit Photo : PublicDomainPictures de Pixabay

Ce que vous décrivez pour ces produits en -cide est donc la conséquence directe de l’autorisation des OGM et des futurs NGT, c’est cela ?

Certains OGM de première génération ont été conçus pour éviter certains pesticides. La protéine BT et les OGM BT pour le maïs par exemple. Ici, ce ne sera pas la pyrale (un insecte ravageur de maïs) qui va attaquer la plante, mais le maïs qui va attaquer la pyrale. Cela permet de mettre moins de produits sur le maïs, moins de pesticides et moins d’engrais chimiques. Mais surprise ! La pyrale est devenue résistante à cela et il lui faut maintenant d’autres pesticides comme on peut s’en douter.

Pourtant le discours officiel a toujours été de dire que la recherche semencière nous sauverait et éliminerait la faim dans le monde …

Les OGM ont ainsi été présentés à tous, de manière frauduleuse, comme étant une véritable révolution et étant résistants à tout. Mais ils avaient d’autres inconvénients. Dans la technique, plus précisément, on introduit un gène d’une autre espèce qui aboutit à réactiver des gènes non codants. Par exemple, on partage un tiers de nos gènes avec la banane, mais nous n’avons aucune fonction commune avec la banane et ils ne servent à rien pour nous. Mais en revanche, tout cela aboutit à perturber l’ADN global sans que l’on sache quelles fonctions avaient ces gènes. Ils sécrètent ainsi des protéines qui peuvent nous être néfastes et amènent les maladies.

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Les NGT ne nous épargnent donc pas d’un risque sanitaire comme promis ?

Aujourd’hui, l’Anses, l’autorité sanitaire, nous dit précisément que non. Les nouvelles techniques génomiques, de ce point de vue-là, ne sont pas plus délétères que les OGM de première génération, en termes de conséquences sur notre santé ou sur la biodiversité. Aussi bien pour nous que pour le vivant, les NGT ne changent rien au monde que l’on nous promet.

Les NGT sont donc notre nouvel ennemi ?

Je ne suis pas sûr que l’on change d’ennemi. Pendant un temps, la recherche semencière était publique par l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) mais, depuis, elle s’est privatisée avec les multinationales Bayer, Syngenta, Siemens, Pioneer, etc. Quand on a commencé à interdire la vente entre paysans de semences paysannes, les lobbys avaient déjà fait en sorte de l’empêcher pour qu’ils puissent réaliser leur profit. D’où la naissance de Kokopelli ou du Réseau des semences paysannes.

Cela s’est aggravé avec les OGM de première génération et cela se poursuit aujourd’hui avec les NGT. On découvre que les puissants lobbys sont capables de jouer avec des mots comme « « cancer avéré » ? Non ! « probable ». Donc « non démontré ». » Ils arrivent ainsi à convaincre des ministres, des commissaires européens, ou des experts de l’Anses. Ils sont très forts.


Marc Dufumier a publié de nombreux ouvrage dont La Transition agroécologique. Qu’est-ce qu’on attend ? @Crédit photo : Terre vivante.

Et comment faire transparence sur les risques encourus pour notre santé ?

Ce sont les semeurs de doute qui déplacent le sujet principal pour vous faire regarder ailleurs. Détourner l’attention, c’est leur boulot. Rappelez-vous, pour eux, « le glyphosate est avant tout biodégradable ». C’est leur langage. Ils ne disent pas : « L’Ampa, produit du roundup, est un cancérigène démontré. » C’est toute la dialectique de ces multinationales.

Alors, la réelle alternative se situe au niveau de la transition agroécologique : réduire les doses écophyto, diminuer la dose ou l’unité de mesure, cela perturbe la vérité des choses. C’est le non produit en -cide, la seule alternative, et non pas les molécules de substitution comme le prétendent les officiels, les syndicats et les lobbys. Il faut arriver à ce qu’un nombre majoritaire d’agriculteurs fassent leur métier sans produits en -cide. Cela ne pourra pas se faire du jour au lendemain parce que c’est artisanal, cela demande plus d’effort et l’on détourne l’attention du public en disant on va diminuer nos doses de pesticides. Non, dans trente ans, plus un seul pesticide. C’est le débat que l’on doit porter pour trouver un modèle économique favorisant cet élan.

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