Crédit photo: Maxime Pionneau

Créée en 2017, l’association Les Elles de la Terre s’est donnée pour but d’accompagner les femmes agricultrices confrontées à des difficultés, mais vise aussi à offrir des temps de sociabilité. Aujourd’hui, l’association s’est tournée vers la diffusion de vidéos et de podcasts pour faire entendre une parole féminine dans le monde agricole.

Tout semble se tenir en un chiffre : 30 %. Selon un rapport d’Oxfam France intitulé Les Inégalités sont dans le pré et publié en mars 2023, la rémunération des agricultrices est de 30 % inférieure à celle des agriculteurs. « Soit un quart de plus que dans les autres secteurs », note l’ONG. 30 %, c’est également le pourcentage de femmes cheffes d’exploitations dans le département de la Mayenne. Un chiffre flirtant avec la moyenne nationale qui est de 26 %. Dès lors, une question se pose : comment aider les femmes agricultrices de Mayenne ?

« Je suis Nima », lâche Laurence Cormier, agricultrice en production laitière installée depuis 1986 à Épineux-le-Seguin, commune du sud-est de la Mayenne. Comprendre : « non issu du milieu agricole ». Si son mari et ex-associé est originaire du cru, elle a quitté son IIe arrondissement parisien pour rejoindre les champs mayennais. « J’étais une Parisienne, j’ai entendu de tout, mais c’était les années 1980 ! Et à cette époque, peu de femmes allaient travailler hors des exploitations. Maintenant, c’est différent, on travaille à l’extérieur. Ça s’est ouvert sur d’autres façons de faire. »

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« Une bouteille à la mer »

En 2016, elle rejoint un groupe Facebook réservé aux femmes agricultrices. « On échangeait nos peines, nos moments de joie », situe cette mère de famille. Une sorte d’espace virtuel en non-mixité. Mais elle veut aller plus loin et, à la veille de l’élection présidentielle de 2017, Laurence Cormier écrit une lettre ouverte. « Une bouteille à la mer », de son propre aveu. Dans cet « appel d’un collectif d’agricultrices en détresse », on lit qu’« en 2016 « rendement, compétitivité, et horaires inhumains » ponctuent notre quotidien »  ou que « notre proche disparition sera le début d’une longue agonie ». Des propos qui ne sont pas sans rappeler ceux entendus lors du mouvement social qui a secoué le monde agricole cet hiver.

La lettre se faufile jusqu’à Paris. Elle sera lue à l’Assemblée nationale par le député du Maine-et-Loire, Jean-Charles Taugourdeau (Les Républicains). Bruno Le Maire, alors candidat à la primaire de la droite, invite le groupe de cinq femmes venues de Vendée, du Maine-et-Loire et de Mayenne qui vient de se constituer autour de Laurence Cormier. Si le petit groupe ne parvient pas à bousculer les choses, une idée germe sur le chemin du retour. « On s’est dit qu’une fois qu’on éteignait l’ordinateur, on se retrouvait toutes seules. On a décidé de créer une association, c’était en janvier 2017 », se rappelle Laurence Cormier.

Quatre femmes sauvées

Les Elles de la Terre voient le jour avec comme objectif de « donner la parole aux femmes agricultrices ». « On s’est rendu compte que notre parole n’était pas forcément entendue. Qu’il y avait du mal-être », poursuit la Mayennaise de 59 ans, coprésidente de l’association avec Karine Taupin. « Si on ne parlait pas, nos hommes n’allaient pas le faire. Quand il y a des soucis, généralement les hommes se réfugient dans le boulot et s’ils parlent, c’est plutôt sous le coup de la colère. » Exprimer ses sentiments ? « Pour un homme, c’est peut-être plus difficile de se dévoiler… »

Entre 2017 et 2020, les Elles de la Terre proposent de nombreuses activités qui vont du cours de yoga ou de théâtre, à des cafés entre femmes – « Il pouvait y avoir un sujet de discussion ou c’était juste pour passer un moment et prendre soin de soi » –, en passant par des interventions de juristes ou mandataires. « On a toutes vécu des choses, ça nous a permis de nous entraider et de se donner des petits « trucs » pour palier des problèmes », raconte la coprésidente. L’association prête aussi une oreille attentive aux femmes en détresse psychologique, mais n’entend pas se substituer aux professionnels. « Sur les violences faites aux femmes, on est des sentinelles. »

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« On est passeuses ! »

« On a aidé des femmes à aller mieux, à éviter le pire. Il fallait les soutenir dans les moments de très grandes déprimes. Il n’y a pas à se vanter, mais on a permis à quatre femmes de ne pas passer à l’acte », confie Laurence Cormier. Celle-ci indique que cette aide perdure actuellement auprès d’une sexagénaire « qui a des soucis pour sa retraite, car elle était en invisible [non déclarée, ndlr] » et d’une « jeune maman ». L’aide en physique se fait essentiellement dans les Pays de la Loire, mais les appels peuvent provenir de toute la France.

Depuis le Covid-19 et les confinements successifs, l’association a réduit ses activités et, comme s’il fallait boucler la boucle, a concentré ses activités en ligne. « Depuis deux ans, on réalise des vidéos et des podcasts sur différents métiers liés à l’agriculture », raconte Laurence Cormier. Au programme : des discussions avec une paysanne-savonnière, une ancienne horticultrice, une ingénieure agronome… « Ces femmes nous racontent leur histoire, on est des passeuses ! » Des histoires et des mots pour prendre d’assaut ces 30 %.

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