Crédit photo: Thomon (CC BY-SA 4.0)

Les agricultrices sont aujourd’hui encore peu représentées dans les organisations professionnelles et instances décisionnelles, telles que les chambres d’agriculture, les coopératives ou les syndicats. L’accès à un mandat, tout comme l’exercice de celui-ci, s’apparente encore trop souvent à un parcours du combattant. Et engendre une absence de représentation démocratique.

« A quand la fin des pionnières ? », se questionnait le Sénat dans un rapport en 2017. La chambre haute du Parlement français identifiait alors la féminisation de la gouvernance de la profession comme « objectif prioritaire ».

Quelques années plus tard, si la situation évolue petit à petit, les agricultrices peinent toujours à trouver leur place au sein des organisations professionnelles agricoles. « On assiste à une féminisation tendancielle dans les bureaux, mais en même temps, il y a une certaine volatilité des mandats féminins. Les femmes n’y font pas carrière pendant des décennies », constate Clémentine Comer, chercheuse en sciences sociales et politique, à l’Inrae.

Les agricultrices confrontées au plafond de verre

On compte environ 30 % de femmes dans les organisations, mais si on décompose ce nombre par mandat, on se retrouve face au « fameux plafond de verre », poursuit la chercheuse. « Plus on monte dans la hiérarchie, moins les femmes sont présentes. » Preuve en est, au plus haut niveau, seules deux femmes ont été ministre de l’Agriculture depuis le début de la Ve République : Édith Cresson, de 1981 à 1983, et Christine Lagarde, restée un mois en 2017.

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Du côté des syndicats, où des écarts de représentation existent, plusieurs femmes ont exercé ou exercent des mandats de haut niveau : Christiane Lambert, présidente de la FNSEA de 2017 à 2023, Véronique Le Floc’h, présidente de la Coordination rurale depuis 2022, ou Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne depuis 2023. « Certes, il y a une forme d’évolution dans la profession, estime Clémentine Comer. Mais ces femmes deviennent parfois des alibis de la cause. Et cela véhicule un discours méritocratique de l’engagement. »

Certains secteurs sont particulièrement mal lotis, à l’instar des coopératives. « Les choses bougent un petit peu, ironise Muriel Penon, agricultrice et membre du bureau de la coopérative Terre Atlantique, première élue femme en 2014 et porte-parole des Elles de la Coop. Il y a quelques années, 9.7 % de femmes représentaient leurs collègues dans les coopératives agricoles. Depuis décembre 2023, on est 10 %. » En comparaison, les agricultrices représentent un quart des chefs d’exploitation.

Muriel Penon, porte-parole des Elles de la Coop, entourée d'administratrices.  @Crédit photo : Elles de la Coop
Muriel Penon, porte-parole des Elles de la Coop, entourée d’administratrices. @Crédit photo : Elles de la Coop

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Un chemin parsemé d’obstacles

Sur leur chemin pour accéder aux instances décisionnelles agricoles, les femmes rencontrent de nombreux obstacles : manque de confiance en soi et sentiment d’illégitimité, manque de temps, charge familiale et domestique à gérer en plus de l’exploitation ou encore manque de socialisation sur ces sujets.

« Les hommes sont détenteurs de savoirs, sur la détention des terres par exemples, ils savent se repérer dans la hiérarchie. Les femmes sont moins socialisées à cela », poursuit la chercheuse de l’Inrae. Résultat, les agricultrices, moins habituées, vont souvent avoir une définition plus exigeante de leur mandat. « Et cela devient coûteux de s’engager. »

De plus, le « bon représentant agricole » est encore perçu du côté masculin. « On entre chez les Jeunes agriculteurs, puis à la fédération locale, puis comme administrateur, puis à la Chambre d’agriculture. Les étapes sont assez standardisées. »

Quant aux mandats, tous ne se valent pas. Une certaine hiérarchie s’instaure, avec des mandats davantage masculins lorsqu’il s’agit de décisions économiques. « Au Crédit agricole, par exemple, les femmes sont présentes dans les échelons locaux et pas dans les instances nationales, pas aux niveaux où se prennent les décisions économiques, poursuit la chercheuse. Les femmes sont plus présentes à la MSA (Mutualité sociale agricole), dans les associations de développement agricole, dans la promotion des métiers de l’agriculture. »

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Un mandat empreint de sexisme

Une fois les organisations professionnelles intégrées, le parcours ne se révèle pas aisé. Dans cet univers devenu compétitif, les hommes ont du mal à faire de la place et les femmes se retrouvent face aux jugements de leurs pairs, que ce soit sur la technique comme sur la représentation. Faire entrer les femmes au compte-goutte ne contrebalance pas la culture masculine.

 « Quand je suis passée en commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers, la semaine dernière, il n’y avait pas que des hommes dans la salle, témoigne Bernadette Vallée, éleveuse dans le Loiret. Pourtant, aucune des femmes ne s’exprimaient. Quand je suis en réunion, je compte le temps de parole hommes/femmes. Et lorsque ça me paraît trop déséquilibré, j’interviens pour signaler ce déséquilibre. »

« On est loin d’être traitées pareil. Quand on est femme et jeune, c’est encore pire, raconte Élise Guellier, agricultrice, élue à la chambre d’agriculture du Loir-et-Cher. Quand j’ai été élue, je faisais partie des plus jeunes, avec un autre agriculteur. Typiquement, pour les lire les motions, on lui demandait plus souvent à lui qu’à moi. »

« Des collègues ont été obligées d’abandonner car la situation devenait trop compliquée, ajoute Muriel Penon des Elles de la Coop. L’une d’elles a quasiment fait un burn out. Une autre est restée administratrice stagiaire pendant dix ans. Moi-même, j’ai entendu des blagues, pas méchantes, mais sexistes. » Des femmes mises au banc, et un important problème de représentation démocratique.

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Ne pas baisser les bras

Face à ce constat, les initiatives se multiplient : chartes contre le sexisme ordinaire, accompagnement de l’engagement par la formation, instauration de guide de la gouvernance, travail en binôme avec des hommes pour partager et transmettre les compétences, etc. C’est toute une culture d’organisation qu’il faut profondément repenser.

Cela peut passer par la mise en place de quota – comme les chambre d’agriculture qui ont l’obligation juridique de compter un tiers de femmes élues par exemple – quitte à laisser des sièges vacants lorsqu’on ne trouve pas de femmes, comme l’avait proposé la Confédération paysanne. Ou le retour à des niveaux d’engagement décentralisés, à des dispositions plus favorables à l’engagement des minorités en général.

Les agricultrices ne baissent pas les bras. « Depuis les dix dernières années, les femmes socialisées au féminisme donnent un coup de pied dans la fourmilière et dénoncent des pratiques qui leur semblent rétrogrades. Le féminisme paysan est en train de se constituer. »

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