Avec Le plus beau village de France (publié chez Gaïa / Actes Sud), Ivan Péault dessine le portrait d’une France rurale qui décide de se battre. L’écrivain originaire du Maine-et-Loire raconte l’histoire d’un village sans charme ni avenir qui, contre toute attente, décide de candidater au label de « Plus beau village de France ». Aux lendemains des élections européennes qui ont porté l’extrême droite en tête dans de nombreux territoires ruraux, l’auteur a répondu à nos questions.
C’est une commune du Maine-et-Loire davantage connue pour ses magasins de déstockage que pour son vivier littéraire. Et pourtant. Située au nord-ouest de Cholet, La Séguinière et ses 4 200ؘ habitants ont vu grandir un écrivain qui a vite décampé pour finalement s’installer à Poitiers, dans la Vienne, où il a longtemps tenu un bar coopératif marqué à gauche. À 45 ans, Ivan Péault n’a pas oublié son village natal et le monde rural où il a grandi et y puise l’inspiration de son premier roman publié en avril 2024 aux éditions Gaïa / Actes Sud.
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Dans Le plus beau village de France, les clins d’œil au sud du Maine-et-Loire sont légion et à peine voilés : La Séguinière devient Lassègue, Cholet devient Chaulet (et sa « zone commerciale coulée dans le béton sur des kilomètres carrés ») et l’entreprise Brioche Pasquier devient Pasquot (d’où s’échappe une « odeur doucereuse qui empuantissait l’usine et ses alentours »). Mais Ivan Péault n’est ni un sociologue contraint à une évocation prudente de ce qu’il observe, ni un journaliste attaché aux faits. C’est une sorte de fantaisiste qui compose avec le réel pour mieux le subvertir. Le foutre en l’air.
« La crise, avait-on déjà jamais connu autre chose ? »
Dans ce roman de 250 pages joliment orchestré, Ivan Péault narre l’histoire d’une commune comme il en existe tant : vidée de ses commerces, de ses services publics et, petit à petit, de ses habitants. La France périphérique, la France moche, la France de Gilets jaunes : les formules, un brin condescendantes, ne manquent pas. Mais Ivan Péault, lui, n’est jamais surplombant. « La crise, avait-on déjà jamais connu autre chose ? », écrit l’auteur dès le deuxième paragraphe. Alors que l’équipe de foot local vient d’essuyer un énième revers contre le village voisin, ces « péteux de Brunois », l’idée germe comme une provocation. Et si Lassègue candidatait au label du « Plus beau village de France » ?
Ce qui est d’abord une plaisanterie prend racine dans l’esprit des habitants tel le chardon qui est d’ailleurs le symbole de la commune. Petit à petit, chacun se mobilise : et si c’était possible ? Bien sûr, il faut s’arranger avec l’histoire, car Lassègue n’a rien de la petite bourgade charmante qui vaut le détour. Mais après tout, « la beauté [n’]est[-elle pas] dans l’œil de celui qui regarde », comme le suggère la quatrième de couverture ? À travers ses personnages, l’écrivain dresse surtout le portrait d’une ruralité multiple, rebelle et loin du fantasme réactionnaire.
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Les Champs d’ici : L’histoire commence par une énième défaite de l’équipe de foot de Lassègue. C’est de la colère que naît cette improbable candidature ?
Ivan Péault : Ce n’est pas tant de la colère qu’une certaine forme de frustration. Le match de foot se joue face à Brunois, un village à qui tout réussi. Grâce au label prestigieux de « Plus beau village de France », ils ont pu relancer l’économie de leur village. À l’opposé, Lassègue est à l’abandon et se désertifie, les commerces ont fermé les uns après les autres et les habitants se sentent relégués et déconsidérés. C’est de ça que naît ce projet, d’un sursaut d’orgueil et d’une fierté blessée. Ils se disent : pourquoi pas nous ?
Il y a une volonté de faire un pied de nez à la fatalité et au déterminisme souvent appliqués à l’échelle de l’individu. Là, c’est à l’échelle d’une commune entière. Pourquoi ?
Si on veut transformer la société, ça ne se jouera pas à un niveau individuel, mais collectif. Dans le roman, on voit une forme d’utopie en action : plutôt que de se sentir impuissant à pouvoir transformer la société et de céder à la résignation, les villageois s’emparent collectivement de ce combat pour reprendre en main leur destin et déjouer la fatalité.
Selon vous, à quoi est dû la mort de ces petits villages ruraux ?
Je ne suis pas chercheur, mais il y a une combinaison de choses différentes. Il y a les déserts médicaux, la disparition progressive des services publics, la manière dont les villes ont développé de grandes zones commerciales au détriment des petites communes et plus généralement l’impact de politiques libérales qui fragilisent les petites communes et leurs habitants… Après, moi, je raconte des histoires !
Vous avez grandi à La Séguinière et le village du roman s’appelle Lassègue. Vous faites également référence à Chaulet (pour Cholet)…
C’est un clin d’œil ! La commune où j’ai grandi est très active et ce n’est pas Lassègue. J’ai quand même grandi en milieu rural et les ambiances de petites communes, je les ai connues dans mon enfance. Je me suis servi davantage d’émotions et de souvenirs que de la réalité. Même si le maire de La Séguinière était aussi un des dirigeants du club de foot et qu’il avait une entreprise dans la volaille : il m’a inspiré le personnage du maire.
D’ailleurs, d’où vous est venue l’idée de ce récit ?
Je me promenais en Charente-Maritime dans le village de Brouage qui a le label « Plus beau village de France ». En le visitant, j’ai imaginé une histoire qui soit le complet contre-pied. On s’extasie un peu tous devant les mêmes panoramas et, quand on en traverse d’autres, on se dit : « Comment peut-on vivre là ? » Je voulais mettre le focus sur ces villages. Là où vivent ceux que Macron appelle « ceux qui ne sont rien ».
Dans un chapitre consacré à la commune rivale de Brunois, vous la décrivez finalement non comme un village modèle, mais comme une vitrine sans âme…
Un habitant d’un village classé me disait qu’il n’y avait presque plus d’habitants. En tant que touriste, on ne se rend pas compte que c’est parfois des villages figés dans le temps, mis sous cloche. Beaucoup se plaignent des nuisances du tourisme de masse, ça entraîne aussi de la spéculation immobilière… Ce sont des lieux idéalisés, mais ils représentent quoi finalement ?
Est-ce qu’il n’y a pas un fantasme quasi-réactionnaire de ce que devrait être la ruralité ?
C’est présent dans notre imaginaire collectif et c’est ce qu’on va chercher quand on va se promener. Mais ce dont j’avais envie de parler, c’est de la richesse humaine. La richesse de Lassègue vient de ses habitants et de ce qu’ils font ensemble.
Avec ce concours, ils dépassent leur ressentiment. N’est-ce pas ce ressentiment qui pousse tout un pan de la ruralité à se tourner vers l’extrême droite comme on l’a vu aux élections européennes ?
C’est un mouvement de fonds qu’on observe depuis des années. Une partie de la gauche a abandonné les classes populaires pour épouser l’idéologie libérale. De l’autre côté, les thèmes de l’immigration et de l’identité se sont imposés au détriment d’idées utopistes et généreuses. Il y a tout un pan de la société qui se sent abandonné. Et le bouc émissaire de l’étranger marche depuis longtemps…
Dans un monde de l’édition essentiellement urbain, n’est-ce pas compliqué de défendre ce livre dont le sujet peut être perçu comme… exotique ?
Je suis chez Actes Sud, c’est une grande maison d’édition, mais ils sont basés à Arles et non à Paris. Après, j’ai eu le retour d’une vingtaine de librairies qui mettent mon livre en avant et absolument aucune n’est à Paris ! Cette semaine, j’ai été contacté pour intervenir dans le Lot et en Dordogne. Je suis souvent invité dans des communes rurales. J’ai le sentiment que la tonalité du roman ne marche pas de la même manière partout. Pourtant, il va bien au-delà des questions de ruralité, il touche à des sujets éminemment politiques qui nous concernent tous.
Photo bannière : Dans son premier roman, le natif de La Séguinière (Maine-et-Loire), Ivan Péault, raconte l’improbable candidature de la commune imaginaire de Lassègue au label de « Plus beau village de France ». @Crédit photo : Maxime Pionneau