Les campagnes ont besoin de paysans, mais en France, leur nombre chute. En cause : les difficultés d’accès à la terre, le rapport de force avec les lobbys de l’agriculture conventionnelle et les difficultés financières qui s’amoncellent. Pourtant, l’espoir est permis : de nouvelles formes d’agricultures émergent, comme l’ont évoqué les intervenants invités à échanger sur le sujet lors de la troisième édition des États généraux du Post-Urbain.

Pour parler de réempaysannement à la table ronde des États généraux du Post-Urbain à Ploërdut, en Bretagne, le 15 juin 2024, Morgan Ody choisit l’Histoire. Celle, oubliée, de la guerre des Paysans qui a fait rage en Europe au XVe siècle avant de tomber dans l’oubli.

La célèbre militante et maraîchère bretonne, membre de la Confédération paysanne et de la Via Campesina, œuvre pour le réempaysannement auprès du Conseil européen, contre les lobbys ultrapuissants qui défendent l’agriculture intensive. « On est bercé par l’idée que la fin des paysans est imminente, mais les paysans ne sont pas en voie d’extinction, au contraire. Il n’y a jamais eu autant de paysans et de paysannes dans le monde qu’aujourd’hui », assure la maraîchère bio.

Sans terre mais pas sans idée

Mais si à travers le monde, les paysans sont de plus en plus nombreux, en France, leur nombre chute et les obstacles s’accumulent. Jean-Christophe Castel, qui se définit comme un « paysan sans terre », en sait quelque chose. Depuis plus de deux ans, il mène un parcours du combattant pour trouver une terre à cultiver.

« C’est un problème répandu et c’est inquiétant, témoigne le néo-rural qui a cherché une parcelle dans plusieurs départements autour de chez lui. Je suis allé d’échec en échec : personne parmi les cédants futurs retraités n’accepte de diviser ses terres ou de les louer. » La solution pour lui et sa femme ? « On en est venu à la conclusion qu’il fallait acheter notre propre ferme. C’est ce qu’on vient de faire. »

L’autosuffisance grâce à l’agriculture vivrière et l’agroforesterie

Un problème que n’a pas connu Samuel Lewis, heureux jardinier auteur. De la terre, son père venu du Pays de Galles en a trouvée il y a quelques années : trois hectares, en Côtes-d’Armor. « Avoir de la terre, c’est la chance que j’ai eue, estime Samuel Lewis. C’est une injustice profonde que tout le monde ne puisse pas accéder à un morceau de terrain, car c’est ce qui rend libre. La terre, il y en a, mais c’est vrai que dans les campagnes, les gens sont souvent réticents à vendre à des personnes qu’ils ne connaissent pas. »

Le jardinier et dessinateur amateur a divisé ses hectares en trente-cinq champs, sur lesquels il a créé des talus, planté des arbres et cultive désormais son potager, sans intrants ni tracteur, mais à la houe artisanale. « Au début, c’était un désert. J’ai planté 500 arbres sur un hectare. » Aujourd’hui, Samuel est autosuffisant et produit assez – « même trop » – sur sa ferme. « Ce que je produis, c’est pour moi et pour le partage », insiste le jardinier, qui anime des stages autour du jardinage avec des outils manuels.

« Créer une forêt comestible, c’est profondément optimiste »

L’autosuffisance, c’est aussi l’objectif que s’est fixé Fabrice Desjours. Et il est en passe de prouver que c’est possible, grâce à l’agroforesterie. Avec son association Forêt gourmande, il a créé en Bourgogne une forêt alimentaire comestible, composée d’arbres et de plantes vivaces – comme le sassafras ou le pistachier de sous-bois – sélectionnés pour leurs productions de fruits, de noix – comme celle du noyer cendré – ou de fleurs comestibles ignorées par nos productions.

Les espaces de ces jardins-forêts sont optimisés, grâce aux arbres, là où l’agriculture n’utilise que le sol. « Les possibilités des forestibles sont énormes et ne demandent pas d’y passer beaucoup de temps. On trouve aujourd’hui dans nos assiettes entre 40 et 60 espèces alimentaires, mais il existe jusqu’à 7 000 espèces comestibles, qu’on pourrait faire pousser dans des forêts nourricières. »

Pour les faire ensuite entrer dans nos assiettes, il suffirait finalement de repenser nos façons de produire et de se nourrir, en revenant aux plantes qui avaient autrefois toute leur place sur nos tables et qui contiennent les fibres et des vitamines nécessaires aux humains. Mais il faudra jouer le jeu. Pour Fabrice Desjours, l’agroforesterie est à la portée de tous : « Il suffit d’agencer des plantes adaptées au climat, qui vivent longtemps. Créer une forêt comestible, c’est profondément optimiste. Ça répond à des problématiques globales. »

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Demain, tous paysans ?

Une « solution géniale » pour Marc Dufumier, agronome et chercheur, pour qui l’agroforesterie et l’agroécologie sont les meilleures formes d’agriculture pour absorber les gaz à effet de serre. « Aujourd’hui, le problème, c’est qu’un grand nombre de paysanneries sont aux abois car elles sont concurrencées à l’échelle mondiale. Il faut lutter contre les formes d’agricultures capitalistes, celles qui accaparent les terres et utilisent des intrants chimiques, notamment », estime l’agronome.

Une position sur laquelle Morgan Ody le rejoint. « On est capable de faire une agriculture paysanne nourricière, ces exemples le montrent, mais cest une question de volonté politique. En Europe, on a besoin de plus de paysans et paysannes, mais on est bloqué dans un rapport de force avec les lobbys, qui sont prêts à tout pour faire de largent. »

Tous se rejoignent aussi sur un point : le fait que produire soi-même une partie de son alimentation pourrait permettre de redonner du pouvoir dans ce rapport de force. Alors serons-nous demain tous paysan ? « Il faut se poser la question : comptons-nous sur les autres pour nous nourrir ? Le réempaysannement est une solution à inventer. En réincorporant une part de plantes sauvages dans notre alimentation, on pourrait avoir un début de réponse », affirme Jean-Christophe Castel. 

« Il faut rétablir le sauvage et arrêter de toujours vouloir éradiquer »

Pour Marc Dufumier, il faudra obligatoirement pour cela respecter le vivant et la biodiversité, malmenés par l’agriculture conventionnelle et les activités humaines. « Il faut rétablir le sauvage et arrêter de toujours vouloir éradiquer. On peut vivre avec des champs dans lesquels poussent des mauvaises herbes et des champignons, il faut simplement minorer leur prolifération. C’est comme ça qu’on reviendra à un agroécosystème restauré, où prédateurs et ravageurs cohabitent. Aujourd’hui, il existe des solutions très concrètes pour que la paysannerie, qui est menacée, retrouve ses droits. »

Photo bannière : Alors qu’un stand était consacré aux plantes sauvages lors de ces États généraux du Post-Urbain, la question du retour aux plantes dans nos assiettes a été évoquée à l’occasion d’une conférence sur le réempaysannement. @Crédit photo : Manuella Binet