Pourvoyeur de grandes figures syndicales puis politiques avec en tête Bernard Lambert, fondateur du courant des Paysans travailleurs, puis de la Confédération paysanne et à l’origine de « la nouvelle gauche paysanne », ce mouvement de la Jeunesse agricole catholique (JAC) a laissé des traces indélébiles, aujourd’hui sans successeur dans les courants d’éducation populaire.

Si aujourd’hui, les territoires ruraux comptent les courants d’éducation populaire, laïcs comme religieux, sur les doigts de la main, la campagne longtemps considérée comme territoire de conquête des pensées fut le fruit d’un maillage bien serré des mouvements pour la jeunesse.

Dans l’Ouest de la France tout particulièrement, la quasi-totalité de la population a un fondement historique catholique, tant dans les villes que de façon plus prégnante dans les campagnes. Et il faut dire qu’au lendemain de la guerre, la pratique religieuse y est très forte avec plus de 80 % de pratiquants dans le monde rural.

Le Grand Ouest, terre de conquête pour les courants catholiques

C’est sur cette assise que plusieurs mouvements d’éducation de la jeunesse ont vu le jour dans les années 1920 et 1930. La Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) tout d’abord, fondée en 1926, première du genre.

La Jeunesse agricole catholique (JAC) est, quant à elle, fondée en 1929, suivie par son équivalent féminin, la Jeunesse agricole catholique féminine, créée entre 1933 et 1935. La JAC avait donc pour principal but d’aider et de former les jeunes ruraux ainsi que d’évangéliser les campagnes.

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Les jeunes en plein cœur de cible

François Colson est un héritier de la culture « JAC » : « L’histoire de la JAC est quand même très marquée par le contexte historique d’une agriculture qui, à cette époque-là, était avant la modernisation », explique celui qui fut agronome et conseil à plusieurs reprises au ministère de l’Agriculture dans les années 1980, puis directeur d’Agrocampus-Ouest à Rennes et directeur de l’Unité d’études et de recherches économiques de l’INRA, à Nantes.

« À une période où l’enseignement était très déficient, les jeunes ruraux arrêtaient au BEPC. La jeunesse et l’école chrétienne leur offraient, d’une part, des activités de loisirs, mais aussi des activités de formation avec l’enseignement des écoles par correspondance. Il y avait aussi des mouvements du côté de la laïcité, avec les foyers ruraux, mais ils n’avaient pas du tout cette implantation-là. »

François Colson @Crédit photo : Cité Verte
François Colson est un héritier de la culture « JAC ». @Crédit photo : Cité Verte

Du pétainisme à la modernisation agricole

Ayant connu une allégeance tout d’abord pétainiste, après 1945, ce mouvement connaît ensuite un véritable tournant : les jacistes se font désormais les ardents militants de la modernisation des campagnes. Il s’agit de transformer aussi bien les outils que les méthodes de culture. La JAC préconise en particulier l’adoption de la mécanisation et des engrais. Mais aussi et avant tout un modèle de société qui s’appuie sur des fondamentaux de vie en commun.

« Au niveau de la méthode pédagogique, l’originalité de la JAC, de tous les mouvements d’action catholique, c’est celle du « voir, juger, agir ». Il y a une rupture radicale avec la démarche où on réfléchit, au sein de l’église catholique. On reçoit le message et puis après, on se dit : qu’est-ce que dit la religion et qu’est-ce qu’il faut faire ? », poursuit François Colson.

« Là, on regarde d’abord ce qui existe, on parle du réel, on parle d’une analyse des faits concrets. On ne parlait pas d’analyse socio-économique, on parlait d’enquêtes : »Qu’est-ce qui se passe dans le village, qu’est-ce que les jeunes font, quelles sont leurs questions ? » »

Voir, juger, agir

L’âge d’or de la JAC flamboie au cœur des années 1950 avec une vitalité du mouvement qui organise le quotidien des familles mais avant tout des jeunes : « On ne se contente pas de faire des discours. Il y a des actions qui sont à la dimension des jeunes. Ça peut être diffuser un journal, organiser une fête locale, organiser une coupe de la joie ou des concours sportifs. Donc c’est la liaison entre les trois mouvements du « voir, juger, agir«  qui se discutent dans toutes les réunions, mais aussi dans des sessions de formation où des jeunes vont, comme la semaine rurale ou des stages de culture générale qui vont durer trois semaines… Pour eux, ça représente une université populaire extraordinaire alors qu’ils n’ont pas quitté leur famille et leur commune. »

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Fiers d’être ploucs

Pour François Colson, dont le père fut à la tête du mouvement quelques années durant, l’identité même de la JAC réside dans la reconnaissance de la jeunesse rurale : « Dans le village, on est l’égal de tout le monde. On est l’égal des propriétaires fonciers, ça change tout dans le rapport au monde. On n’est pas seulement des ploucs, on est des jeunes qui ont la même dignité que les gens des villes. »

Ce sont ces deux dimensions-là qui vont être au cœur du moteur du rôle de la JAC. « Avec un dernier facteur, c’est une organisation collective. C’est une organisation au niveau de la paroisse, au niveau de chaque fédération. Il va y avoir des responsables fédéraux pour les gars, pour les filles, pour les différentes classes d’âge. » Tout un réseau de relations va se constituer. « Ce tissu puissant a permis à des personnalités d’émerger et de créer la jeunesse d’après, la vie responsable et engagée qu’elle était destinée à devenir. »

Et le mouvement en effet connut ses heures de gloire et de floraison de personnalités publiques telles que Bernard Lambert, créateur de la Confédération paysanne, ou Bernard Thareau, député européen et responsable agricole au Parti socialiste. Jusqu’à se déliter au fil du désaveu global pour la religion, que ce soit en ville comme à la campagne pour laisser place à d’autres organisations, plus politiques celles-ci.

Après la JAC, la politique

Que dire alors de la vacuité aujourd’hui des campagnes sans guide éducatif quel qu’il soit ? François Colson sait bien que certains partis politiques se sont immiscés dans des vides qu’ils ont laissés, autant que par ceux laissés par les autres formations d’éducation.

« Il faut être fier d’être paysan. Il faut être fier d’être rural. Mais c’est vrai que la tendance techniciste, voire machiniste, amène de plus en plus de grands ensembles à exister aux dépens de la paysannerie. Donc effectivement, j’ai l’impression que c’est un peu la double invisibilisation du jeune paysan dont il s’agit et qui amène ce rejet aussi massif parfois. Heureusement qu’il n’est pas unilatéral d’ailleurs. Il faut regarder comment les gens se vivent dans les campagnes. Ce n’est pas le problème de regarder ce qui se passe à l’extrême. Quand on est dans la plainte, on ne peut que recevoir facilement les discours du Rassemblement national. »

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Et le sursaut des jeunes

Sans fatalisme, la vision d’une société rurale impulsée par les jeunes ne semble cependant pas impossible à cet acteur de la vie publique agricole : « Concrètement, quel est l’enjeu aujourd’hui ? C’est la relation à la nature. Quelle est la nature proche de chez moi ? Comment je me comporte ? Qu’est-ce que je peux faire de différent ? C’est dans la relation aux autres aussi. Aussi, oui. C’est même très corrélé, d’ailleurs. Il y a une relation étroite entre la façon dont on est en relation avec la nature et la relation qu’on a avec les autres humains. Oui, mais c’est vrai que la jeunesse se mobilise aussi parfois sur des grands enjeux climatiques. C’est une façon d’être avec son environnement qui ne leur est pas anodine. Et cela c’est tout à fait rassurant. »