Pour les jeunes des campagnes, des arrêts de car en guise de port d'ailleurs

Grandir loin des centres-villes, c’est prendre le car pour rejoindre son lycée, un entretien d’embauche ou la soirée du weekend. Une étude souligne que les jeunes ruraux passent 42 minutes de plus par jour dans les transports en commun que leurs homologues urbains. Le long des routes de campagnes, ces arrêts de car se dressent comme autant de monuments anonymes où les générations se succèdent, les unes après les autres.

Tous les ports non pas d'eau

Tous les ports n’ont pas d’eau et, parfois, la mer prend la forme d’une rivière d’asphalte qui s’étire du fin fond d’un département vers « la ville ». Dans le Maine-et-Loire, la ville se nomme Angers. Les ports, eux, n’ont pas de nom, hormis, parfois, celui des lieux-dits où ils se trouvent. Ils ont une architecture anonyme et utilitaire. Le long des routes bordées de champs ou dans des bourgs de villages, ils se dressent, impassibles au flux de la circulation. Certains sont modernes, transparents, fraîchement remplacés par la collectivité locale. D’autres sont en bois ou en béton et semblent dater de Mathusalem. Eux, ce sont les arrêts de car.

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Faye d’Anjou (Bellevigne-en-Layon).

Villevêque (Rive-du-Loir-en-Anjou).

Savigné-sous-le-Lude

Saint-Georges-des-Gardes (Chemillé-en-Anjou)

Dénezé-sous-Doué

42 minutes de trajet en plus

« J’y ai attendu de mes 15 à 18 ans pour aller au lycée à Angers », témoigne Benjamin, la trentaine. Lui attendait chaque matin dans une commune du sud d’Angers. « Je mettais mon réveil à 5h50, je prenais le car à 7h. Comme j’habitais à trois kilomètres de l’arrêt, ma mère ou mon père m’emmenaient en caisse. Lui faisait les 2 x 8. Parfois, il bossait jusqu’à 21h et le lendemain matin, il ne pouvait pas faire la grasse mat’ et devait m’emmener. Je pense que c’était encore plus dur pour lui que pour moi… » Le soir, il revenait à 19h. « C’était de bonnes journées quand j’y pense… »

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Selon une étude conjointe de l’Institut Terram, Chemins d’avenirs et de l’Ifop publiée en mai, « les kilomètres sont lourds de conséquences sur le quotidien des jeunes ruraux ». La population étudiée, âgée de 15 à 29 ans, passe « en moyenne 2h37 dans les transports chaque jour ». « C’est 42 minutes de plus que pour les jeunes urbains majeurs », note l’étude qui souligne que « les transports en commun ne permettent pas de compenser l’éloignement : 53 % des jeunes ruraux déclarent être mal desservis par le réseau de bus, contre seulement 14 % chez les jeunes urbains ». Conséquence : « Lorsqu’ils ne peuvent pas parcourir une certaine distance, les jeunes ruraux en viennent à se priver. » Causalité ou corrélation, l’étude rappelle que « les entraves à la mobilité des jeunes ruraux alimentent le vote en faveur du Rassemblement national (RN) ». Au premier tour de la présidentielle de 2022, 39,6 % des jeunes ruraux ont voté pour le Rassemblement national. Soit plus du double des jeunes urbains.