Chaque année dans le Maine-et-Loire, 500 candidats se préparent à passer le permis de chasser. Le temps d’un après-midi, nous avons suivi six d’entre eux dans leur apprentissage de ce loisir auquel plus de la moitié des Français se déclarent opposés.
«C’est plus stressant que de passer le permis de conduire », dira l’un d’eux quelques heures plus tard. En ce lundi de septembre, il est 13h30 et ils sont six candidats sagement assis face à Yoann Drillaud, un technicien responsable du pôle permis de chasser de la Fédération départementale des chasseurs de Maine-et-Loire.
L’homme a revêtu l’uniforme mental de sergent instructeur. Dans le genre « sévère, mais juste ». Tout l’après-midi, Quentin, Nerrière, Alyssa et les autres participent à la formation pratique de ce permis obligatoire qu’il est possible de passer à partir de 16 ans. Une formation comprenant aussi une partie théorique qu’il est obligatoire de passer avant de se présenter à l’examen tant redouté dont le taux de réussite est de 75 %. Un taux de réussite plus élevé que celui de l’examen du permis B qui avoisine les 66 %.
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Sécurité et accidents
Pour l’heure, Yoann Drillaud tente de rassurer ses troupes. « La seule chose sur laquelle ce sera axé, c’est la sécurité. Le résultat de votre tir importe peu. » La chasse n’est pas un loisir anodin. « Délivrer un permis de chasser, c’est délivrer un droit de porter une arme, rappelle, en guise d’évidence, Carine Jourdan, cheffe du service du permis de chasser à l’Office français de la biodiversité (OFB). C’est un pouvoir régalien et c’est l’OFB qui est chargé de cet examen. On n’apprend pas à viser mais à faire les manipulations en toute sécurité. »
Comptabilisés par cet organisme public dépendant des ministères de la Transition écologique et de l’Agriculture, les accidents de chasse sont de moins en moins nombreux. En 2022-2023, il y en a eu 78, dont six mortels [1]. En 1999-2000, c’est un chiffre sans commune mesure : 232 accidents, dont 39 mortels. Sur X (ex-Txitter) un compte, Insolente Veggie, recense les accidents relayés dans la presse. À l’heure où nous écrivons ces lignes, six accidents étaient comptabilisés depuis début septembre.
Une population (et un prix du permis) en déclin
Chaque année, ils sont environ 500 à se présenter dans le Maine-et-Loire à l’examen. Nationalement, on comptait 35 812 inscrits en 2023, contre 32 877 en 2013. Comment expliquer cette hausse qui touche aussi l’Anjou ? Le technicien de la « fédé » dit ne pas avoir d’explication, mais la plus plausible est celle de l’évolution du coût de ce permis. En 2017-2018, il fallait débourser 400 €. Aux premières heures de la présidence d’Emmanuel Macron, ce prix a été divisé par deux pour descendre à 200 €. Un geste qui a été vu, au mieux, comme un cadeau à l’électorat chasseur, au pire comme une concession au « lobby de la chasse ». Aujourd’hui, le prix du permis est descendu à… 46 €.
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Mais cette hausse du nombre d’inscrits au permis de chasser ne suffit pas à enrayer une population en déclin. Dans le Maine-et-Loire, qui compte actuellement 14 000 chasseurs, ils sont 3 % de moins chaque année. Nationalement, ils sont 963 571 à avoir pris leur validation du permis de chasser pour la saison 2022-2023, contre 1,1 million en 2014. En 1976, année record, la France comptait plus de 2,2 millions de personnes avec un permis de chasser.
Depuis — et bien que la population générale croît —, cette population s’étiole progressivement. « Au-delà de l’effet papy-boom encore en cours parmi les chasseurs et qui se traduit par un vieillissement démographique, une dynamique de renouvellement s’est opérée, indique la Fédération nationale des chasseurs [2]. Les jeunes de moins de 25 ans font part d’un regain d’intérêt pour la pratique, ils représentent un peu plus de 5 % des chasseurs et sont aussi nombreux qu’en 2014. »
Opposition et féminisation
À Bouchemaine, les aspirants chasseurs sont répartis en trois groupes naviguant entre quatre ateliers correspondant aux quatre épreuves du jour J qui devrait advenir dans quelques semaines. Tous emboîtent le pas de l’instructeur du jour qui avertit : « À tout comportement jugé dangereux, l’inspecteur peut arrêter l’examen à n’importe quel moment. »
Personne ne moufte. Un atelier permet d’apprendre à ranger son arme, un autre mime une chasse aux petits gibiers avec passage de fossé et de barrière, un troisième permet de tirer sur un disque et un dernier un « tir sur sanglier ». À ce dernier stand, Nerrière, un régleur en plasturgie de 38 ans, tâche de répéter chacune des étapes de cette épreuve réglée comme du papier à musique. « Le dimanche, c’est le moment où l’on s’évade », confie celui qui travaille en usine.
Petit à petit, l’après-midi s’écoule sous un ciel nuageux et les gestes se font plus précis, moins dangereux aussi. Parmi les participants, Alyssa, 16 ans, est la seule femme. « J’aime bien être dans la nature et partager du temps avec mon papa », confie cette lycéenne en brevet professionnel coiffure. « On m’a dit plusieurs fois que ce n’était pas une passion pour les filles », sourit-elle, des baskets roses aux pieds.
Selon la Fédération nationale des chasseurs, 3,3 % des chasseurs sont des chasseuses. « On dénombre 13 % de femmes candidates au permis de chasser, ce qui témoigne d’un attrait en progression », lit-on. En 2023, elles étaient 4 700 à se présenter à l’examen du permis de chasser. Mais les questionnements qui entourent la chasse ne concernent pas tant la question du genre que celle de la mort ou de la cohabitation avec d’autres pratiques rurales.
En octobre 2023, un sondage, commandé par l’association de défense des animaux One Voice à l’institut Ipsos, pointe du doigt une opposition à la chasse devenue majoritaire dans la population française avec 53 % de personnes opposées. Dans une interview donnée à la librairie Mollat et diffusée sur Youtube, l’anthropologue Charles Stépanoff, auteur de L’animal et la mort. Chasses, modernité et crise du sauvage, évoque le « rapport singulier à la violence de l’Occident ».
La mort est devenue invisible aux yeux du grand public, masquée pour mieux faire oublier les conditions de vie et d’abattage. En résulte une viande décorrélée de l’animal dont elle provient. Une viande abstraite. « L’Occident moderne […] est une force de destruction qui n’a jamais eu d’équivalent avant […], mais dans notre vie au quotidien, nous sommes préservés de la violence. » Le chercheur remonte le temps et parle de la chasse comme ayant été le « loisir des ouvriers et des paysans […] soutenue par le Parti communiste français ». Après-guerre, le nombre de chasseurs grimpe mais la « petite faune » diminue, impactée par l’évolution des pratiques agricoles. « Cette petite faune a été remplacée par des sangliers qui sont moins fragiles, plus opportunistes. »
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- [2] La chasse en France aujourd’hui et demain, plus qu’une pratique… Étude économique, environnementale & sociétale / https://www.chasseurdefrance.com/wp-content/uploads/2024/06/Etude-FNC-Propo-Finale-Web-9.pdf
Photo bannière : Chaque année, environ 500 candidats sont préparés par la Fédération départementale des chasseurs de Maine-et-Loire à l’examen du permis de chasser. Crédit photo : Maxime Pionneau