Alors que les filières professionnelles sont encore bien trop souvent considérées comme des voies de garage, de nouvelles écoles veulent remettre le « faire » et la terre au centre de l’éducation. Elles proposent à des jeunes de se former au métier de la transition écologique dans des environnements ruraux.
C’est lorsqu’il réalise que parler aux jeunes d’écologie ne suffit pas, que l’idée de monter une école commence à cheminer dans la tête de Frédérick Mathis. Il faut remonter 20 ans en arrière… Le jeune homme qui travaille alors au Parlement européen est appelé par un ami d’enfance pour l’aider à créer un service d’accompagnement à l’éducation dans un foyer de jeunes, à Toulouse.
Concerné par les sujets de transitions écologiques et notamment par le fait que « les plus fragiles économiquement et socialement sont les premières victimes des bouleversements climatiques », Frédérick Mathis décide d’y enseigner l’écologie. Il comprend vite que ces discussions un peu hors sol angoissent plus qu’elles ne motivent à agir.
« Je me suis fait prendre à mon propre piège. Les jeunes me disaient : “oui c’est flippant, mais on a d’autres préoccupation dans nos vies, comme remplir nos frigos, trouver une formation, peut-être même quitter le quartier”. Et puis dans les années 2000, on faisait de l’écologie un sujet culpabilisant », poursuit Frédérick Mathis, tout en rappelant que ce sont les plus précaires socialement qui polluent le moins.
Un déclic
Le formateur décide alors d’agir en créant des ateliers à Poucharramet, son village natal de Haute-Garonne, à 45 minutes de Toulouse. « Nous avons fait plein de chantiers différents sur de nombreux sujets : maraîchage, fabrication de panneaux solaires, charpente… Ça a été un gros déclic. On pouvait ensuite parler de ces sujets d’écologie sur une base concrète. Et puis certains jeunes me disaient : “Voilà, c’est ça ce que je veux faire”, mais je n’avais aucune idée de comment les former à ces métiers-là. » Car si des formations en CAP ou bac pro existent, elles ne prennent alors pas en compte le volet transition écologique et restent très théoriques.
Au fil des ans, le projet de Frédérick Mathis, soutenu par toute une équipe de bénévoles et formateurs engagés, va passer par des chemins sinueux – notamment une entreprise de construction écologique – avant de se muer en école en 2018. Il existe aujourd’hui 28 écoles de la transition écologique, baptisées ETRE, qui devraient continuer à essaimer.
« Penser, œuvrer et entreprendre »
Une petite visite du site Internet de l’institut de Tramayes nous donne immédiatement envie d’avoir 20 ans et d’apprendre le maraîchage ou la menuiserie tout en prenant des cours de philosophie. C’est aussi car ils ressentaient un manque dans les formations traditionnelles que des créateurs d’Arc-en-Ciel, une structure spécialisée dans la formation des jeunes – notamment la gestion de projets de l’économie sociale et solidaire – décident de monter cette nouvelle école.
Ce tiers-lieux, créé dans une ancienne école élémentaire d’un village de Saône-et-Loire, propose différents parcours à des jeunes pour se former « à penser, œuvrer et entreprendre au service de la ruralité et du monde avec une pédagogie inspirée de l’éducation populaire », explique Benjamin Destremau, co-fondateur et directeur administratif et financier du projet. « Nous voulons former des hommes et des femmes qui sachent à la fois comprendre les enjeux du monde, travailler de leurs mains et être acteurs du changement dans la société. »
On peut participer ici pendant un an ou quelques mois à des ateliers de maraîchage, de charpenterie ou de plomberie, enseignements dispensés par des artisans et des paysans, mais aussi à des cours de philosophie ou de sociologie. Une façon pour des jeunes en quête de sens de choisir ensuite une formation qui leur convient. Parmi les étudiants de la première promotion 2023, six sont partis en formations dans des métiers assez variés : maçonnerie, boulangerie, ébénisterie, maraîchage, animation…
Remobilisation et qualification
À sa création, le constat des écoles ETRE était aussi simple : « En France, 100 000 jeunes sortent du système scolaire non diplômé tous les ans tandis qu’un million d’emplois devraient être créés dans la transition écologique dans les trente prochaines années. »
Les écoles du réseau proposent d’appréhender le maraîchage, l’écoconstruction ou encore la réparation de vélos…. Des formations qui peuvent prendre trois formes aussi dans le temps et l’engagement : la remobilisation surtout destinée à redonner envie et confiance sur un temps court, la préqualification qui permet d’apprendre les bases d’un métier et enfin les qualifications diplômantes. Cette dernière proposition – qui doit prendre place dans un système éducatif déjà existant – semble aussi la plus longue à mettre en place.
« Si on prend le CAP classique, auquel on ajoute notre vision, la grosse difficulté qu’on a, c’est que tout ce qu’on va apporter de plus dans notre diplôme ne sera pas forcément reconnu par l’État, explique Frédérick Mathis. Par exemple, pour notre formation en menuiserie, les jeunes vont apprendre à travailler sur du bois de récupération pendant dix mois mais vont devoir au moment du passage du diplôme, travailler sur du bois aggloméré… »
Des contradictions entre des formations classiques et des plus écologiques, qui peuvent être un peu décourageantes mais démontrent aussi que l’éducation prodiguée dans ces nouvelles écoles peut être poreuse avec une éducation plus traditionnelle et peut-être même y faire infuser des considérations écologiques. À côté de Perpignan, l’école ETRE travaille par exemple avec le lycée agricole existant sur le CAP maraîchage en y ajoutant un volet écologique.
Le public
Pour Frédérick Mathis, « l’idée était avant tout de redonner confiance. Nous sommes souvent face à des personnes qui n’ont plus confiance ni en eux, ni dans les autres, ni dans les institutions en général et du coup, plus confiance dans l’avenir ».
Le réseau ETRE propose des formations gratuites, un modèle logique pour le créateur : « Le public cœur du début, c’était vraiment des jeunes, des quartiers, déscolarisés. Après, aujourd’hui, nous avons de plus en plus de demandes de reconversion pro ! »
Une nouvelle population, qui provoque aussi « un renversement des savoirs : quand tu as une jeune qui a arrêté l’école en quatrième qui va former un ingénieur Airbus à faire de la menuiserie c’est très beau à voir ». Avec 90 % des écoles en milieu rural, les établissements se confrontent aussi à la question de l’accessibilité.
Un souhait de reconversion grandissant
Un défi aussi pour l’institut de Tramayes même si le public visé n’est pas tout à fait le même. Avec la nécessité d’avoir son bac pour s’inscrire, la formation s’adresse plutôt aux jeunes déjà passés par des études qui souhaitent se reconvertir et veulent découvrir ou travailler en milieu rural.
« Le premier constat, c’est effectivement qu’une part grandissante de nos étudiants d’établissement d’enseignement supérieur souhaitent se reconvertir pour avoir un métier qui a plus de sens, explique Benjamin Destremau. Le deuxième est la représentation symbolique mais pas seulement dans l’imaginaire de la ville par rapport à la campagne. En considérant que la ville est la solution à beaucoup de problèmes et que la campagne est plutôt source de problèmes. »
À l’institut Tramayes, la formation a un prix : entre 4 000 et 6 000 euros l’année environ, un tarif calculé selon les quotients familiaux, avec aussi des possibilités de financement. Pour le moment, le modèle économique reste encore fragile et le public à conquérir.
ETRE s’est donné l’objectif de créer 60 écoles d’ici 2027 grâce à une équipe dédiée qui sélectionne et accompagne sur plusieurs mois des structures qui souhaitent monter des écoles dans le cadre du réseau. Une entreprise toujours sur le fil pour garder son ADN tout en donnant la possibilité au plus grand nombre d’accéder à un enseignement émancipateur…
Photo bannière : Les écoles ETRE ont émergé en 2018. Crédit photo : École de la transition écologique