Confinements obligatoires et abattages massifs de poules et de canards à chaque flambée de grippe aviaire (voir journal officiel du 5 décembre 2023) , euthanasie de millions de poussins mâles issues de poules pondeuses : la filière avicole peine à vivre encore sans crise épizootique, ni heurt administratif qui pénalisent les éleveurs, alors même que 133 millions de tonnes de poulet sont consommées par an à travers le monde. Mais des alternatives existent notamment grâce aux collectifs Sauve qui Poule ou encore l’apparition du Coquet de Mayenne sur le marché de la volaille.
Considéré initialement comme une énorme avancée pour la filière, un décret paru au Journal Officiel le 5 février 2022 interdisant en France l’élimination des poussins mâles de poules pondeuses par broyage ou gazage se délite chaque jour plus dans les faits. Cette loi favorisant plutôt l’ovosexage technique, qui permet de détecter le sexe avant l’éclosion et d’éliminer les mâles au stade embryonnaire sans tuerie, reste totalement inefficace en réalité parce qu’il comporte beaucoup trop d’exceptions dans la filière, notamment pour les acteurs industriels dans la compétition européenne produisant des oeufs blancs destinés à la transformation. Au final, seuls les œufs destinés à la grande consommation restent concernés par le décret, et 25 millions de poussins restent décimés par cette filière devenue folle.
En 2019 et 2020, Laval Mayenne Métropole et l’AgriCampus de Laval ont mené des expériences d’élevage de poussins mâles de souche pondeuse. Crédit Jean-Pierre Chafes.
Elever les poussins mâles
D’où le nécessaire regain d’intérêt pour les alternatives au triste spectacle de l’euthanasie à grande échelle. Et en particulier pour la solution de l’élevage des poussins. Volontairement délaissée par les industriels qui n’y voient pas d’intérêt économique, elle a cependant été approfondie dès 2019 par Laval Mayenne Métropole, dans le cadre du projet « Food Heroes », en collaboration avec l’AgriCampus de Laval. En élevant conjointement deux lots de 102 poulets chacun de souche ponte et de souche chair à croissance rapide (à titre de groupe témoin), les étudiants en BTS productions animales étaient parvenus au constat que les premiers produisaient des poulets ayant un réel intérêt pour la consommation comme le confirme Baptiste Daudet, PDG du Gars Daudet, entreprise spécialisée dans la volaille de plein-air associée à cette expérimentation.
Des poulets pour 2 personnes
« Sollicité en 2020 par Laval Mayenne Métropole, on a effectivement proposé à un de nos éleveurs partenaires d’élever trois fois dans l’année une cinquantaine de ces poussins mâles de souche pondeuse en condition réelle. Et si l’animal ne grossit pas aussi vite que les poulets de chair et n’a pas de gros blanc, son développement est par contre quasiment normal au niveau des cuisses. Au bout de 8 à 10 semaines, on a un poulet de 700 à 800 grammes prêt à cuire, c’est à dire en capacité de nourrir deux personnes, et que l’on vend au prix de 12€/kilo, soit globalement 10€ la pièce ». L’accueil positif reçu auprès des clients a fini de convaincre le volailler des possibilités de développement du secteur. Il a même fait appel à une agence de communication pour donner son nom au Coquet de Mayenne.
Renouvelée l’année suivante avec les mêmes effectifs, l’expérience a depuis été stoppée. Mais pas totalement abandonnée. C’est en tout cas ce qu’assure Baptiste Daudet prêt à « recommencer à produire du Coquet de Mayenne en 2024 » dans la mesure où la grippe aviaire ne perturbera plus la filière.
Ce qui ne sera encore pas le cas encore une fois puisque le niveau de risque sur le territoire métropolitain français vient d’être relevé mardi 5 décembre de «modéré» à «élevé», selon des textes publiés au Journal officiel. La mesure, qui prévoit notamment le confinement de volailles, a été prise «considérant la confirmation de plusieurs foyers en élevage» et «la dynamique de l’infection dans les couloirs de migration et la possibilité de diffusion du virus par ces oiseaux migrateurs», selon l’arrêté, qui entre en vigueur immédiatement. Et tout cela en dépit des campagnes de vaccination.
Obligée trois ans de suite de confiner leurs volailles pour des périodes étant allées jusqu’à huit mois consécutifs et dans certains cas d’abattre la totalité de leur cheptel, une partie des aviculteurs français a d’ailleurs fini par s’insurger contre ces décisions jugés ni efficaces, ni éthiquement respectables.
Co-Présidé par Jacques Dupont, le collectif Sauve qui Poule 44 dénonce la claustration des volailles comme réponse à la grippe aviaire. Crédit Jean-Pierre CHafes
Sauve qui Poule fait des petits
En Loire-Atlantique, à l’instar de ce qui s’est passé dans le Vaucluse en 2017, un collectif Sauve qui Poule a ainsi vu le jour. « Dès novembre 2021, on a été plusieurs à signer un texte dans lequel on refusait l’enfermement de nos volailles parce que nos élevages n’étaient pas adaptés à la claustration et parce que n’était pas selon nous la solution » selon Jacques Dupont, actuel vice-président de Sauve qui Poule 44. Réunis en mai 2022 chez Audrey Lacroix, présidente du GAB 44 et avicultrice à la Chapelle-sur-Erdre, afin de faire se rencontrer éleveurs et consommateurs autour d’ateliers participatifs, l’assemblée générale constitutive du collectif ligérien s’était ainsi formé sur ce sursaut.
« Notre vaccin c’est le plein-air »
« Les décisions de confinement sont prises par l’Etat, en collaboration avec les interprofessions de l’industrie de la volaille dont sont exclus les petits éleveurs qui représentent pourtant 15 à 20% du cheptel », reprend Jacques Dupont.
« Alors que nous affirmons que lorsque tout est fait dans les règles, les petits élevages ne présentent pas de risques sanitaires pour la propagation de la grippe aviaire. Au contraire, la concentration moins importante des volailles, la taille réduite des lots, le multi-âge, le multi-espèces, la quasi absence d’intervention de personnes extérieures à l’élevage, la maîtrise de la chaine de production et surtout le plein-air, sont des freins à la propagation ». Un discours étayé scientifiquement; durant l’été 2022, une étude menée par l’association a effectivement montré que seulement 3% des petits élevages autarciques de Vendée, Maine-et-Loire et Loire-Atlantique répertoriés grâce aux fichiers de la Confédération paysanne et du GAB, avaient été touchés par la grippe aviaire contre 20% des élevages industriels.
Des résultats qui pourraient pousser les éleveurs adhérents de Sauve qui Poule 44 à s’opposer aux obligations de confinement et/ou aux règles d’abattage préventif comme cela a été le cas dans certains autres départements. Quitte a être à mis en demeure, voire verbalisé. « On est les garants d’un mode d’élevage de produits de qualité supérieure » conclut Jacques Dupont.
Rétroliens/Pings