D’ici 2050, la quasi-totalité du territoire devrait être confrontée au risque de feux et 50 % des forêts métropolitaines seront soumises au risque d’incendie contre un tiers actuellement, selon Mission interministérielle changement climatique et extension des zones sensibles aux feux de forêts. Jean-Luc Dupuy, directeur de recherche à l’Inrae, spécialisé en écologie des forêts méditerranéennes, revient sur les principaux enjeux.
De nombreux territoires sont désormais confrontés au risque incendie en raison du changement climatique et la quasi-totalité de la France devrait être concernée en 2050. Vous avez publié un rapport en 2023 sur les Projections des effets du changement climatique sur l’activité des feux de forêt au XXIe siècle, avec l’Inrae. Quelles sont vos principales conclusions ?
Les risques sont surtout présents actuellement en zones méditerranéennes et dans le Sud-Ouest et on s’attend à une expansion des zones à risque incendie au niveau national, notamment dans le Centre-Ouest (Centre-Val de Loire, Pays de la Loire) et dans l’Ouest de la France (la Bretagne). L’arrière-pays, les zones de moyenne montagne et en altitude seront également davantage concernées. Dans les
endroits où ils sont déjà nombreux, les feux de forêts s’intensifieront et les périodes concernées se rallongeront. C’est là qu’un problème majeur pour la sécurité civile pourrait apparaitre. On estime que le risque incendie pourrait être multiplié par trois dans la zone méditerranéenne. Cependant, ce facteur trois pourrait être sous-estimé, car les calculs ne prennent en compte que la problématique du changement climatique. Et ce n’est pas le seul facteur. Deux autres problématiques entrent en jeu. D’abord, le type de végétation : les massifs sont-ils fragmentés ou étendus ? Ensuite le facteur humain : environ 95 % des départs de feu y sont liés.
Les pyrorégions, ces régions qui présentent des caractéristiques similaires telles que la taille des feux, leur fréquence, leur saisonnalité ou encore leur intensité, vont donc se modifier ?
Les régions qui connaissent des feux de forêt vont en effet être plus nombreuses et les incendies se déplaceront vers le Nord. La limite à l’intensification des feux, c’est lorsqu’il n’y a plus de combustible, dans les zones très arides par exemple. Ce facteur limitant pourrait être observable en Espagne ou en Grèce.
Dans le Centre-Val de Loire, des massifs comme celui de Sologne présentent d’importants risques. Quels sont les massifs forestiers les plus concernés en France et pourquoi ?
Le travail de déclinaisons des projections par massif est en cours. Mais on peut d’ores et déjà dire qu’aux endroits où les massifs sont continus, de grande taille, asséchés l’été, comme en Sologne, le risque est plus élevé. En France, outre le Sud-Est et le Sud-Ouest, historiquement favorables aux feux, les massifs les plus concernés s’articulent du Centre-Val de Loire au Pays nantais, car les températures de la zone ligérienne sont plus élevées.
A quel point les massifs forestiers sont-ils fragiles ?
Les massifs forestiers dépérissent. Depuis la sécheresse de 2003, on le constate sur les peuplements de sapins en moyenne montagne, ainsi qu’à l’échelle nationale. Une étude montre qu’il y a une baisse de stockage du carbone par les arbres, liée à la sécheresse. Des attaques de scolytes sévissent et des peuplements entiers, notamment d’épicéas, dépérissent en quelques semaines. Cela peut contribuer à augmenter le risque incendie temporairement, pendant quelques années. On peut être inquiet pour le futur des forêts.
La monoculture, comme celle des épicéas ou des pins dans les Landes, accroît-elle ces risques ?
Cette question a été beaucoup débattue dans les Landes après les incendies de 2022. Des observations effectuées partout dans le monde attestent que les feux se produisent plus fréquemment dans les landes arbustives, et ensuite davantage dans les massifs de résineux que dans les massifs de feuillus, même si on ne connaît pas exactement les causes.
Dans les Landes, avoir un massif continu de pins maritimes n’est donc pas un atout. Et en même temps, peu d’essences forestières arrivent à vivre dans ces anciens marais. Les résineux et les feuillus ne poussent pas aux mêmes endroits. Il y a des essais mais c’est donc compliqué de faire pousser des feuillus dans cette zone, d’autant plus si on veut en faire de la production. Après l’incendie de 2022, la majorité des propriétaires vont replanter des résineux.
La multiplication des propriétaires peut-elle être une embuche dans la gestion des feux ?
En France, environ 75 % des propriétés forestières sont privées. Certaines mesures ont été mises en place depuis les grands incendies meurtriers de la fin des années 1940, mais nous en avons vu les limites en 2022. Des propriétaires, à travers des syndicats, des associations, comme l’Association régionale de défense de la forêt contre les incendies dans le Sud-Ouest, aident à mettre en œuvre des pistes, des points d’eau. On y arrive, mais le foncier éclaté peut effectivement être un obstacle, un frein, aux mesures de prévention.
90 départements de métropole ont été concernés par au moins un feu significatif en 2022 et plus de 80 000 hectares de forêts ont brûlé durant cette période, selon le ministère de l’Intérieur. Est-ce que l’année 2022 est un exemple pour la suite ?
L’année 2022 était une année exceptionnelle mais une année comme celle-ci ne le sera plus à la fin du siècle. Le temps de retour [entre les incendies] va se réduire. Si on ne réduit pas les émissions de gaz à effet de serre, l’ampleur du changement climatique augmentera et le risque incendie avec. On risque de passer à une situation où on ne gère plus que la protection civile. Et tout le reste passera à la trappe.
Parmi ces incendies, ceux de Gironde ont détruit 30 000 hectares. Pourquoi ont-ils particulièrement marqué les esprits ?
On pensait ce risque bien maîtrisé, avec beaucoup de prétention. Et l’année a été singulière, avec un fort traumatisme pour tous les gens impliqués dans la gestion forestière et pour les habitants. Beaucoup ont perdu leur maison.
L’année 2022 a été telle qu’il y a eu une proposition de loi sur la mise d’œuvre d’une nouvelle ligne politique, visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie. Cette loi de juillet 2023 permet un renfort de législation, avec des obligations de débroussaillage renforcées, une mise en place d’une stratégie nationale et territoriale, [une cartographie des risques et des moyens de lutte ou encore l’interdiction de fumer en forêt pendant la période à risque]. L’Etat a également demandé des rapports pour mettre en place des modifications dans la gestion.
Comment peut-on s’adapter pour faire face au risque incendie grandissant en forêt ?
Le cœur de la politique, c’est la lutte. Tout est concentré pour éviter que le feu ne prenne de l’ampleur. Une fois que l’incendie est grand, il est très difficile de le contrôler. On protège les biens et les personnes, c’est la priorité. Quand la situation devient extrême, on en vient à sacrifier des maisons.
Ensuite, la prévention consiste à se préparer à la lutte avec l’aménagement des massifs, le débroussaillement, l’aménagement du territoire. Par exemple, si on fragmente les massifs, les chances que le feu s’arrête sont plus nombreuses. Cela passe aussi par une politique de sensibilisation. On a observé une baisse importante des surfaces brûlées, liée aux politiques de lutte contre les incendies, avec une baisse des départs de feu. Grâce à la sensibilisation à long terme, les gens font plus attention. L’éducation est un facteur sur lequel on peut progresser.