C’est l’histoire d’un maraîcher bio qui s’installe dans un village d’Ille-et-Vilaine où l’agriculture conventionnelle est une histoire d’héritage. Malgré des visions différentes, il connaît l’entraide paysanne et son installation témoigne de l’importance des relations humaines. Mais, face au mépris politique des petits et l’agrandissement des gros, la campagne perd son tissu social rural.

Crédit photo – Pauline Roussel

Le lieu-dit de la Grée Pichard. Une route à lapins qui ne mène pas bien loin. Au bout de l’impasse, se trouve la ferme maraîchère La Grée en bio. 

Les hommes sont près d’un tracteur qui ronronne. Bottes aux pieds, cottes sur le dos. Dominique Latouche, le chef maraîcher au bonnet enfoncé sur les oreilles, plisse des yeux. Il nous aperçoit, s’approche. 

Oui, pas de souci, on peut échanger ensemble, sourit le paysan. Mais vendredi. Là, y a un client qui attend.” En attendant ledit rendez-vous, retour au Grand-Fougeray. 

Le nouveau

Un village breton devenu une petite ville, aux portes de la Loire. Avec ces lieux de vie, comme le “hangar”. 

Un bâtiment en tôle beige, appartenant à un ancien agriculteur. Les gars du coin (rares sont les femmes à s’arrêter) s’y retrouvent. Il passent en coup de vent, le temps d’une bolée pour causer de la vie du village ou glaner des conseils. Ou, ils donnent un coup de main. Bricolage, jardinage, bûcheronnage, dépannage parfois abattage. 
En 2012, Dominique s’installe comme maraîcher bio dans la bourgade et passe souvent au hangar, pour emprunter du matériel à l’ancien. 

Changement de culture

Dans le patelin, c’est le premier à faire ça, du “bio”. Ici, comme dans bien d’autres localités, l’agriculture est une histoire d’héritage, de noms. Trois voire quatre familles sont, encore aujourd’hui, (très) bien connues et leurs fermes étendues sur les terres fulkériennes.

Elles sont ancrées depuis des années et gèrent des exploitations “bien portantes”. Le maraîchage bio de Dominique, c’est un changement de culture, littéralement. Surtout en ruralité, où les foyers ne manquent pas de jardins à cultiver. 

À son installation, une question taraude les esprits et arrive jusqu’aux oreilles du producteur : “Comment va-t-il gagner sa vie avec cette activité ?

Peu de conversions dans le coin

L’homme entraîne dans son sillage des producteurs des alentours, avec la vente directe à la ferme et un marché qui se tient, depuis le début de son activité, tous les vendredis. 

Vendredi. Il est venu “d’échanger”, pour recueillir l’histoire de ce paysan singulier dans le paysage local. L’impasse qui mène à La Grée en bio s’est transformée en parking, les voitures s’accumulent. Dans un bâtiment à l’entrée de l’exploitation, on vient acheter des légumes, de la viande, du fromage, des galettes, du pain, du chocolat…

Derrière ce même hangar, Dominique charge son camion de cagettes de légumes, pour le marché du lendemain à Pornichet. Il stoppe sa tâche, direction sa maison à (à peine) deux pas. Une belle longère en pierre où il emménage avec sa compagne, originaire du Grand-Fougeray, en 1999. Lui, il vient de Derval, non loin d’ici.

Crédits photos – Pauline Roussel

Je suis toujours un des seuls en bio dans le secteur. Il n’y a pas eu beaucoup de conversions. Il porte une tasse de café à sa bouche. Aussitôt reposée sur la table à manger, il s’enfonce dans sa chaise, croise les bras. Malgré cette allure farouche, le paysan de 52 ans n’en est pas moins souriant et de plus en plus causant.

De l’agroalimentaire à la terre

“Avant de m’installer, je travaillais à la base logistique alimentaire d’Intermarché dans la zone du Grand-Fougeray. Pendant 14 ans, j’étais à la réception des fruits et légumes. J’ai décidé de devenir maraîcher parce que j’en avais marre de contrôler des produits espagnols… » Dominique laisse échapper un rire étouffé. « Puis, j’avais envie de partir depuis un moment. Cette expérience m’a au moins permis de connaître une grande variété de légumes.”

La terre l’appelle. Petit-fils d’agriculteurs, “comme tout le monde”, Dominique cultive chez lui son propre potager, “on vivait déjà en autonomie ici”. Il n’y a plus qu’à agrandir le jardin familial et obtenir, fin 2011, son brevet professionnel Responsable d’entreprise agricole en maraîchage biologique. Alors, il se lance.

Troc de parcelles et entraide

“Pourquoi en bio ? Parce que je ne voyais pas l’intérêt de mettre des pesticides. J’en mettais pas pour moi, j’allais pas le faire pour empoisonner les autres”, lâche-t-il. De quatre serres et un petit lopin de terre pour faire pousser des légumes, des aromates et quelques fruits, Dominique possède maintenant huit serres “tunnel” et une “bi-tunnel” qui recouvrent une surface de 2 500 m². Il a également près de 7 hectares de champs, qui lui suffisent.

Les serres non chauffées, où poussent en ce moment les légumes d’hiver (épinard, fenouil, radis…), se dressent en bas de son terrain, dans un bocage préservé par de hautes haies et un bois. Dominique a pignon sur ses cultures.

Dominique possède huit serres “tunnel” et une “bi-tunnel” qui recouvrent une surface de 2 500 m². Il a également près de 7 hectares de champs, qui lui suffisent. Crédit photo : Pauline Roussel

C’est notamment grâce à un échange de parcelles, avec les deux frères agriculteurs qui possédaient les terres autour de chez lui, que le maraîcher s’implante. “J’ai eu à convertir les terres, ils étaient en conventionnel. Sans eux, j’en serais pas là. Je ne me suis jamais mis à dos mes collègues conventionnels.” À en croire son parcours, pas besoin de partager une vision commune de l’agriculture pour s’entraider. 

Insertion sociale en campagne vivante

“On est toujours là pour se donner des coups de main, comme lorsque j’ai monté mes serres.” Là, c’est le gars du coin qui parle.

Avant de se glisser sous le tissu social agricole, ils connaissaient du monde à travers la chasse et la pêche. Et de reconnaître que ça a facilité son insertion dans le milieu, bien que sa pratique soit à part.

Cela peut même être un atout en soi. Seul maraîcher de la commune, il ne connaît pas la concurrence locale. “Les terres profondes ne sont pas des terres maraîchères. Les maraîchers se concentrent plutôt autour des agglomérations. Chez nous, c’est l’élevage et les céréales.”

Puis, du terroir ou pas, “c’est simple, pour s’intégrer, il faut savoir dialoguer sans chercher à s’imposer”, pense fermement le paysan, agacé à l’idée “qu’on oublie le dialogue”. “Les nouveaux qui s’installent doivent prendre conscience que la campagne est vivante.” Jusqu’à quand ?

Agrandissement et isolement

“Dans le secteur, beaucoup d’agriculteurs vont bientôt partir à la retraite et tout part à l’agrandissement pour les céréales. C’est mauvais pour la biodiversité et la diversité agricole. Quand il n’y a plus que cinq exploitations dans une commune, alors qu’avant il y en avait 30, c’est moins facile de se côtoyer. Les gens n’ont plus l’habitude de se voir et ne prennent plus non plus le temps pour. C’est aussi la société qui veut ça.”

S’il connaît encore une entraide paysanne, l’homme s’inquiète du chemin dans lequel la campagne est engagée. “Les gros agriculteurs sont maintenant plus dépendants à leurs machines et aux banques qu’aux relations humaines. Ils ont les engins qu’il faut, pas besoin de demander un coup de main. Ils s’isolent et les liens se distendent. Sauf que, sans lien, certains n’ont plus rien.”

Le bio, la paysannerie, et le système

Seul à la tête de son exploitation, Dominique emploie trois salariés. Dont sa fille, Amélie, qui l’a rejoint en 2020. Une fierté pour lui, qui se pose malgré tout la question de la transmission, Amélie ne voulant pas reprendre seule l’exploitation et la charge de travail que cela implique.

“Pour attirer vers le bio, il faut des débouchés locaux ! Ce que n’offre pas la loi Egalim [qui promettait 20 % de produits bio dans la restauration collective, NDLR], c’est une fumisterie cette politique. Alors que si elle était appliquée, elle offrirait dans les cantines, les hôpitaux, les maisons de retraite des débouchés non négligeables. Moi, je travaille avec une seule cantine dans le canton, et ce n’est même pas celle de ma propre commune.” 

Un regret pour celui qui a choisi de maîtriser l’écoulement de sa production en circuit-court pour réussir à gagner sa vie (et c’est réussi) sans être dépendant des centrales d’achats, “un système qui peut te mettre à genoux”. Surtout en temps de crise du bio et face aux importations de fruits et légumes. 

Finalement, les choix de Dominique sont intrinsèquement liés à la défense de la petite paysannerie et, donc, des paysages et du tissu social en campagne. Le système ne partage pas sa vision des choses. “Les dirigeants nous méprisent. Avec eux, seuls les gros ont le droit de vivre, les autres ont tout juste le droit de survivre.”