« C’est la fin de l’abondance. » Cette petite phrase, sortie par le président de la République en 2022, trotte encore dans la tête des associatifs qui se battent pour la jeunesse en zone rurale. Plus que jamais en 2024, les changements de cap politique, les plafonnements et gels de subventions laissent craindre un effritement de la structure sociale. La Loire-Atlantique incarne (particulièrement) ce risque de délitement.
Août 2024. Maena Terrien revient d’un camp d’été. « On est 21 jeunes à être partis dans le sud. C’était génial ! », jubile l’ado de 13 ans. Elle et ses amis ont financé ce séjour à coup de petites et grandes actions (vente de gâteaux, loto, soirée disco…). Mais surtout, si elle a pu partir, c’est grâce à l’Arcel. Cette association rythme la vie de Saint-Aubin-des-Châteaux, une commune de 1 700 habitants en Loire-Atlantique, située à 10 kilomètres de Châteaubriant.
École de la vie
L’Arcel, c’est un catalogue sans fin d’activités pour jeunes. Séjours pendant les grandes et petites vacances, sorties en extérieur les samedis, projets citoyens… « L’association nous permet de découvrir plein de choses qu’on ne pourrait peut-être pas faire autrement », pense la jeune Aubinoise de souche.
C’est aussi une association à travers laquelle la jeunesse s’implique pleinement dans la vie communale. Les mercredis en période scolaire, Quentin Binet donne un coup de main aux animateurs du centre de loisirs de l’Arcel. « Je viens pour les aider à s’occuper des petits, mais aussi pour m’occuper moi-même, sortir de chez moi et découvrir d’autres facettes de la vie », médite le lycéen de 15 ans. Comme Maena, il aimerait passer son Bafa, son Brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur, pour devenir animateur à l’Arcel.
Investir dans la jeunesse
Sans cette association, lui et Maena s’ennuieraient. Ou alors, il faudrait pouvoir bouger dans la ville la plus proche, Châteaubriant. Pas si simple vu le peu d’offres de mobilités dans le coin. Le directeur de l’Arcel, Victor Pelesbre, en a bien conscience.
Alors en 2022, l’association répond une énième fois à l’appel à projet Fonds publics et territoires de la Caisse d’allocations familiales (CAF). Elle obtient environ 15 000 €. « Ça nous a, entre autres, permis d’investir dans un minibus, se souvient le directeur de 36 ans, un passionné de son métier. En 2023 aussi, on a perçu 15 000 € en candidatant à ce fonds pour investir dans la jeunesse. »
Investir dans l’avenir
En 2018, 30 % des 3 à 24 ans vivent dans une commune rurale selon l’Insee. L’institut souligne qu’à partir de 17-18 ans, certains jeunes migrent vers la ville. Pendant ces années en ruralité, il faut occuper tout ce petit monde. Ainsi, nombreuses sont les associations qui « misent beaucoup sur les ados ». En 2023, l’Arcel a touché près de 240 jeunes de 11 à 17 ans, venus de Saint-Aubin-des-Châteaux et ses alentours. L’association rurale rayonne dans une soixantaine de communes.
« Ces associations sont des espaces de création de conscience collective et de prise d’initiatives pour les jeunes. Aussi, elles permettent d’écrire, avec les communes, un projet de société », appuie Myriam Bourasseau, directrice des Fédérations départementales de Vendée et de Loire-Atlantique de l’association Familles rurales.
Investir, encore possible ?
Sauf que voilà, pour écrire ce « projet de société », « il faut suivre les besoins ». Et les finances de l’Arcel ne suivent plus suffisamment. Le 1er août, l’association a ainsi lancé un appel aux dons sur Facebook. L’origine ? La baisse de fréquentation de son célèbre Festival du Menhir, organisé le 14 juillet dernier, associée à une baisse globale des aides publiques, via des gels de subventions, et l’augmentation des charges liées à l’inflation et la revalorisation des salaires [1].
« En fait, on est dans un contexte depuis deux ans… qui se complique. Chaque année, les subventions fluctuent. Surtout en 2024, il y a un mauvais alignement des planètes », s’inquiète Victor Pelesbre. L’animation associative est tributaire des subventions. Si dans les budgets, l’une d’elles baisse, est gelée ou disparaît, « le bât blesse », souffle-t-il. « En 2023, on a touché près de 180 000 € d’aides. Mais on a beau brasser un budget conséquent, chaque subvention compte. »
La situation que son équipe traverse n’est pas étrangère à d’autres associations, du nord au sud de la Loire-Atlantique et au-delà. « Lors de rencontres au niveau de la fédération nationale de Familles rurales, des directeurs d’association ont vraiment tiré la sonnette d’alarme », confirme Myriam Bourasseau qui précise tout de même que, pour l’heure, quelques départements de France sont épargnés, comme la Vendée.
Choix politiques
Concrètement en 2024, des associations ont dû renoncer à l’enveloppe des Fonds publics et territoires de la CAF. Celle-là même qui avait permis d’acheter le minibus de l’Arcel. « Les critères d’attribution ont changé, ce qui a fortement impacté les associations qui en sont dépendantes pour développer certains projets, dont des projets jeunesses. Elles n’ont pas toutes pu émarger dans cet appel à projet », développe Daniëlle Havot Broekarts, co-directrice de l’Animation rurale 44, une structure qui accompagne dans leur développement des associations locales.
La CAF de Loire-Atlantique confirme cette réorientation politique. Avant, les associations pouvaient bénéficier de cet appel à projet pour développer des actions tous azimuts. Mais, « en 2024, nous l’avons recentré sur les priorités liées au territoire, comme la petite enfance car nous manquons de moyens de garde », justifie Thierry Delemotte, directeur adjoint de la CAF 44, chargé de l’action sociale.
Économie urgente
Pour des raisons de priorité et surtout d’économie urgente, la politique jeunesse et citoyenneté du Département de Loire-Atlantique a également trinqué. Frappée de plein fouet par une baisse de ses recettes « sans précédent », l’institution départementale a dû réaliser 60 millions d’euros d’économie pour boucler son budget 2024.
En cause dans la chute drastique de ses recettes, la crise immobilière qui s’enlise et des choix étatiques. Les droits de mutation (ces taxes perçues par les collectivités locales lors des transactions immobilières) ont dégringolé. « Cette baisse illustre les effets de la réforme fiscale de 2021 (suppression de la taxe foncière) dénoncée par les Départements et tant redoutée puisque le financement de l’action sociale en France repose désormais sur les marchés de l’immobilier » [2], appuie le Département qui n’a plus d’autonomie fiscale.
Malgré un budget important pour soutenir les actions tournées vers les jeunesses, la collectivité a dû faire des concessions et des subventions ont été suspendues en 2024. C’est le cas de son appel à projet jeunesse(s).
Service minimum
L’Arcel espérait toucher 4 000 € avec cette enveloppe et 3 000 € de subvention culturelle pour son studio de musique Aubin d’Son. Sans, la structure doit freiner ses projets et craint, un jour, de devoir se contenter de faire le service minimum. Pourtant, ce n’est pas le style de la maison qui fourmille toujours d’idées. Mais dans ce système, le seul engagement militant pour une éducation populaire ne comble pas tout.
« On avait notamment espéré construire un local pour les jeunes car ils n’en ont pas. On avait imaginé que ce serait une yourte où les générations se seraient croisées. Un lieu de création, d’expression, de débats et d’ouverture sur le monde. Pour le moment, l’idée est abandonnée », regrette Victor Pelesbre, frustré. Néanmoins, il ajoute « comprendre les difficultés » de son Département.
Victor et son équipe « aimerait faire plus pour les ados car ils sont en demande et traversent un âge charnière ». En témoigne Maena, l’ado au visage angélique, vivement attachée à son association locale : « L’Arcel est un repère qui compte beaucoup pour nous, où on est toujours écoutés, jamais jugés. »
Pour Myriam Bourasseau, la situation est préoccupante pour l’avenir des jeunesses rurales : « Il n’y a rien de pire que de ne pas être considéré. Si les associations n’ont plus les moyens de se préoccuper de nos jeunes, ils vont déserter nos ruralités. Et sans parler de migrer vers la ville, quels adultes de demain seront-ils, si on ne leur donne plus d’espace de sociabilisation ? »
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Cohésion territoriale
Aussi, dans les associations, d’autres incertitudes planent. Elles concernent le devenir de leurs centres de loisirs, qui accueillent les petits de 3 à 11 ans. D’un côté, un discours : l’enfance sera toujours une priorité politique et budgétaire face à la jeunesse, puisque ce secteur solutionne des moyens de garde pour les familles.
De l’autre, une réalité : cet été, dans la communauté de communes de Châteaubriant-Derval dont fait partie Saint-Aubin-des-Châteaux, le centre de loisirs de la commune de Rougé a fermé deux mois, celui de Derval, quinze jours, en plus d’annuler ses séjours d’été…
Quant à l’Arcel, l’association a dû augmenter ses tarifs. En cause, une stagnation et un plafonnement des subventions allouées par la CAF, premier financeur de ces lieux. Sans oublier, les problématiques de recrutement qui persistent, liées à la sous-valorisation des métiers de l’animation.
Les huit centres associatifs du nord de la Loire-Atlantique ont alerté leur Com’com, qui gère de son côté deux centres de loisirs en régie directe. Ils ont demandé un soutien à la hauteur de « l’urgence du moment » tant financièrement, matériellement que moralement. En tant que deuxième gros partenaire financier de ces centres, la Com’com a revalorisé les aides qu’elle leur distribue.
Mais, « la relation entre une collectivité locale et une association va bien au-delà du versement d’une subvention. Il est important d’échanger afin de trouver des solutions et de se réinventer ensemble. Il en va de la cohésion territoriale », souligne Myriam Bourasseau, qui soutient l’association Familles rurales de la Meilleraye-de-Bretagne, présente dans le territoire de Châteaubriant. « Ces assos participent à maintenir les ruralités à flot », défend-elle fermement.
Tissu social crucial
Et c’est peu dire. L’Arcel propose en plus de ses activités enfance-jeunesse, une multitude de services pour tous les âges. En 2023, toutes actions confondues, l’association a touché 5 000 personnes. Rien que ça. « La demande est là et augmente même. Notre présence a du sens », commente Victor Pelesbre, pur produit du terroir et de l’Arcel, attaché à cette institution locale fondée en 1985 par son père.
D’ici la fin de l’année, l’Animation rurale 44 devrait rendre public un diagnostic mesurant l’état de santé des associations œuvrant pour l’enfance et la jeunesse. D’ores et déjà, Isabelle Jourdain, administratrice au sein de la structure, pense que « ces associations reculent ».
« Leurs activités seront de plus en plus récupérées par les collectivités. Soit par la volonté de la collectivité de gérer directement sa compétence et de ne pas avoir à gérer la relation avec l’association. Soit par « abandon » des bénévoles associatifs face aux difficultés économiques ou de relations avec la collectivité… Dans ce contexte, les baisses de financement peuvent être un facteur accentuant les problèmes. »
Dès lors, le tissu rural, porté par l’associatif, serait bouleversé dans des campagnes où le lien social se délite déjà. Pourtant, tout prouve qu’il y en a plus que besoin.
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[1] Depuis les années 1940 et 1950, le métier d’animateur et animatrice s’est fortement professionnalisé au rythme des besoins de garde de la société. Le seul engagement militant de bénévoles n’a plus suffi pour répondre à la demande, il a fallu recruter des salariés. En 2024, les salaires relevant de la convention Éclat (de l’animation) ont augmenté. Si cette augmentation a été importante, elle n’a pour autant pas suivi l’inflation. Aussi, les associations rencontrées s’accordent pour dire que la revalorisation du métier est une bonne chose, même si cela pèse dans leur finance.
[2] La suppression de la taxe d’habitation sur la résidence principale (supprimée depuis janvier 2023), perçue alors par le bloc communal (communes, notamment) a amené l’État à leur transférer (en compensation) le produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties dont bénéficiait jusqu’alors les Départements.
Photo bannière : L’association Arcel à Saint-Aubin-des-Châteaux rayonne dans une soixantaine de communes de son territoire. En 2023, elle a touché par ses actions près de 240 jeunes. @Crédit photo : L’Arcel
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