Entre fierté du métier, agriculture bio ou conventionnelle et ancrage, nous avons échangé avec une poignée d’élèves du lycée agricole Pommerit, dans les Côtes-d’Armor. Un échantillon, non exhaustif, des agriculteurs de demain : face à la transmission d’une vision productiviste de l’agriculture, quelle place a la formation dans leur construction ?
Au cœur du Trégor, en Bretagne, se trouve le lycée Pommerit. Présidé par Danielle Even (ex-présidente de la chambre d’agriculture des Côtes-d’Armor), il est l’un des lycées historiques de la région, fondé en 1962 sur des terres châtelaines à La Roche-Jaudy. Là, une poignée d’élèves – parmi le millier qui étudie ici – a cours d’éducation socio-culturelle ce vendredi 27 septembre. Un temps pour construire son projet professionnel à partir de ses aspirations personnelles. Ça tombe bien, on est venu parler de ça.
Dans le sillage des « darons » ?
À main levée, dans l’assemblée de trente élèves âgés en moyenne de 17 ans, qui a envie de s’installer ? Plus de la moitié de la classe de terminale bac pro Conduite et gestion d’entreprise agricole se manifeste, au départ timidement. « Moi je préfère être ouvrière agricole, pour éviter les galères », souffle Lauryann depuis le premier rang, un brin désabusée.
Dans le lot de ceux qui souhaitent s’installer, au fond de la classe, ça commence à marmonner, à s’agiter. Seuls les téméraires, pas plus de dix élèves et uniquement des garçons, prennent la parole. Deux discours émergent dans le brouhaha.
Celui des détachés, qui veulent créer leur ferme loin de celle de leurs parents pour ne pas revivre ce qu’ils ont vécu, à savoir « les mêmes difficultés à trimer sans rien gagner », ou pour « rompre avec l’image de l’ancien ». Et, à l’inverse, celui des héritiers, qui projettent de reprendre l’exploitation « des darons à leur départ à la retraite ».
L’outil en main, l’idéologie en tête
« On est encore un peu loin de tout ça, mais on sait que ce n’est pas simple de s’installer. La terre, c’est le nerf de la guerre. Tout le monde se bat pour le moindre m² qui dépasse », lâche Loïc. Raphaël, qui ne cesse de se balancer sur sa chaise, renchérit : « Quand tes parents sont dans le milieu, ça facilite les choses : tu as déjà l’outil en main. Pour ceux dont ce n’est pas le cas, c’est peut-être plus difficile d’envisager de s’installer. »
L’outil en main, et l’idéologie en tête. Dans la classe, tout le monde aspire à devenir éleveur de bovins et cultiver de grandes cultures. Tous sont des amoureux du métier. Maxence, lui, a choisi cette orientation pour rendre fiers ses parents et ses grands-parents :« Pour qu’ils voient que tout ce qu’ils ont monté, ce n’était pas pour rien. »
Les élèves sont des mordus, des passionnés « de la ferme, des bêtes et de l’environnement » : « Ce n’est pas le matériel qui paye ton salaire à la fin du mois. » Même si certains ne sont pas motivés par l’argent – « il aurait fallu choisir un autre plan de carrière » – d’autres insistent : « Ça reste un métier comme un autre, il faut se rémunérer. » « Ce sont de gros bosseurs, glissent leurs professeures. Leurs parents leur ont transmis la valeur du travail. »
Héritage conventionnel
Certes, la pression à reprendre la ferme familiale est moins forte qu’à l’époque où la transmission vers l’enfant aîné était innée. Aujourd’hui, les jeunes trouvent « leurs parents plus ouverts à d’autres voies ». Eux se disent « plus conscients de leur choix » avec l’envie de prendre soin de leur vie personnelle, de ne pas être harnachés à la ferme : « Si tu y es tout le temps, tu pètes une pile. »
Pourtant, ce modèle persiste et des schémas bien ancrés se reproduisent. Les jeunes à prendre la parole racontent avoir grandi sur des grandes exploitations conventionnelles. Comme Loïc, qui aimerait reprendre la ferme de ses parents : 100 vaches en bâtiment, deux robots de traite, 200 hectares de cultures.
Alors, quand on évoque l’orientation des élèves (ou non) vers l’agriculture bio, la classe s’échauffe. Seuls deux élèves confient ne pas vouloir être en conventionnel : Victor et Nolwen. « Mon patron est en bio et, finalement, je ne trouve pas ça si mal, entame Victor. Il y a énormément de gens ici qui détestent et ont des préjugés sur la bio. » Et de nuancer, pour tenter de ménager la chèvre et le chou : « Il y a de bons agriculteurs dans la bio comme dans le conventionnel, tout comme il y a des mauvais agriculteurs de chaque côté. »
En face, des demi-arguments sont débités. « Les bios prennent toutes les aides, ils ne sont là que pour ça. Derrière, les conventionnels n’ont plus rien », rétorque Samuel. « Mais ce n’est pas vrai… », rejette Victor. « Moi, je suis totalement contre la bio. Il y a plus de contraintes et c’est plus cher pour le producteur et le consommateur, s’interpose Clément. Après, chacun son système… »
Scolarité en société
Quand on leur demande de développer, les jeunes peinent un peu. Calmement, Yanis intègre la discussion. Il avoue qu’ils font peut-être des généralités, sortent des jugements de valeur hâtifs : « Chacun dénigre chacun. Dès que tu as une mauvaise expérience avec un bio, tu mets tout le monde dans le même sac. C’est pareil avec les conventionnels. »
Mais comment définir les « bons » et les « mauvais »agriculteurs. Là, la valeur travail revient sur le bureau. Les élèves contre la bio pensent que ce modèle d’agriculture ne permet pas de répondre à leur engagement : produire. Ils renvoient dos à dos le conventionnel et la bio, des agricultures irréconciliables ? « Dans la société, la bio est un argument pour s’opposer au conventionnel. D’un côté, il y a les gros producteurs. De l’autre, les petits. Mais il y a aussi des gros chez les bios, et des petits chez les conventionnels », murmure Yanis.
Sur les questions écologiques, il y a comme un air de déjà entendu. Les garçons qui débattent ressentent une forme d’injustice sociale face aux critiques de l’agriculture et aux normes environnementales. « On fait déjà beaucoup pour l’environnement, mais des normes s’ajoutent. Ce sont des freins. Les critiques et les lois nous saquent, s’agace Samuel. Les gens ne connaissent pas les réalités de notre métier. Le conventionnel, ce n’est pas qu’une agriculture chimique qui tue la nature. » Et Raphaël d’enfoncer : « On a bien conscience que la terre est notre outil de travail et que nous devons en prendre soin. Épandre des pesticides sur une zone de captage d’eau, par exemple, c’est inhumain. »
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Le tribut historique
Dans le même temps, Maxence ajoute que, face au déclin des petites fermes en France, « il faut produire plus, puisque la nourriture ne pousse pas dans les rayons des supermarchés ». Dans ce contexte, Raphaël précise même qu’il ne faut pas avoir peur de s’étendre : « Quand on s’installe, on reprend souvent des terres et des bêtes. S’il y a moins d’agriculteurs, plus de terres seront disponibles pour nous à l’avenir. Bon, par contre, si on est moins nombreux, il y a moins d’entraide. »
Mi-positif, mi-fataliste, Yanis déclare : « On doit rester optimistes sur l’avenir de notre métier, même si on ne peut pas changer le système. » Il est vrai que le système dans lequel le jeune se projette, le productivisme, est dominant et structurel. Il est encouragé par les pouvoirs publics depuis des décennies. Les élèves n’y sont pour rien, mais en dépendent. Avec le poids de l’héritage, l’ouverture à d’autres possibles semble difficile. Mais cette orientation n’est-elle pas dépassée ? Le Giec, entre autres, répondrait que si, puisque le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat pointe l’impact du productivisme sur le dérèglement climatique.
Se construire un champ à soi
Dans le fond, cette classe est un mini-laboratoire des tensions dans la société. Dans la forme aussi. Certains ont pas mal parlé, d’autres ont tenté d’argumenter. Et la majorité s’est effacée, par pudeur face au groupe. « Pourtant, beaucoup de ceux qui ne disent rien ne sont pas d’accord », souffle Céline Fourdrilis, professeure.
Déterminée à ce qu’une fille s’exprime, Lauryann sursaute : « Ceux qui ont parlé ont simplement répété ce qu’ils entendent dans leur famille, qui leur ont transmis leur mentalité et leur vision de l’agriculture. Si leurs parents sont en agriculture conventionnelle, alors ils le seront aussi. Ils arrivent en lycée agricole avec des idées toutes faites, un avenir tout tracé. Face à eux, beaucoup d’autres élèves sont encore dans le flou. » La concernant, ses parents ne sont pas du milieu.
« Ils ont un paquet de certitudes qui ne sont pas les leurs. Notre travail, c’est de les amener à s’ouvrir et à se forger leurs propres avis et envies », conclut la collègue de Céline, Marie Séguillon.
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Photo bannière : Le lycée Pommerit est l’un des plus grands lycées agricoles bretons. Inscrit dans le paysage, il envoie chaque année des élèves au salon agricole, le Space, à Rennes. Crédit photo : Lycée Pommerit